Au Coin du Tricar

Bonin

 
Émile Bonin 
Constructeur
17, avenue de la Motte-Picquet, Paris VIIe
Tri-car-voiturette "L'Idéal". Pièces détachées pour construction de voiturettes à 3 roues. 
Pièces détachées pour tricars : chaînes, rotules, raccords, pièces de moyeux, pignons, etc. 
Moteurs Fulgur pour tricars. Changement de vitesse Bozier. Travaux de tours, fraisage, 
rabotage, ajustage, forges, cémentage pour cycles et automobiles, modelage. 
Exécution d'inventions.

Émile Paul Henri Bonin est né à Paris le 18 février 1871 comme fils du boulanger Émile Augustin Bonin et de sa femme Sophie Louise Noizeux. Comme le métier de boulanger ne le tente apparemment pas, le jeune Émile choisit la profession d'ajusteur. Le 1er mai 1897, il épouse à Paris la télégraphiste Marie Josephine Morlot avec laquelle il a deux enfants, les jumeaux Irène Sophie et René Achille Bonin, qui sont nés le 7 avril 1898 à Paris, au domicile des parents 17, avenue de la Motte-Piquet.
Émile Bonin est décédé le 29 décembre 1935 en son domicile 8, rue Saint-Pierre à Caen. Son fils René Achille a été vu pour la dernière fois le 7 juillet 1944 à Caen. Il fut déclaré mort comme victime des événements de guerre et Mort pour la France le 22 octobre 1947.

En 1902, Bonin figure dans le Bottin du Cycle en tant que constructeur de cycles à la même adresse. Selon la publicité ci-dessous, la "Manufacture française des cycles Bonin" se consacrait aussi aux machines à coudre et à l'armurerie.
 
Bonin, l'une des premières publicités, 1903

Également en 1903, Bonin commence à construire aussi sous l'appellation "Idéale" une gamme de moteurs refroidis à eau à côté de la fabrication de vélos et de motos.
 
Bonin, publicité pour le moteur Idéal, 1903
 
Malgré son intérêt de plus en plus accentué pour les véhicules à moteur, Bonin maintiendra des vélos à changement Bowden de deux ou trois vitesses dans l'offre au moins jusqu'en 1907.
Au Salon de l'Automobile de 1904, Émile Bonin présentait une motocyclette dite Moto-Auto Bonin-Bréache qui fut inhabituelle à plus d'un titre. D'abord, parce que la forme du cadre sans tube de selle et la position de conduite qui en résulte sont assez insolites. Assis au-dessus du garde-boue comme un pilote de course, le chauffeur est au moins – pour lui dire quelque chose de réconfortant – "éloigné des parties soumises à une température élevée et voit parfaitement devant lui" (Léon Overnoy). À cela s'ajoutent un moteur refroidi par l'eau ainsi qu'un embrayage breveté par Émile Bonin et une transmission par chaîne. La moto est mue par un moteur Bonin de 2 HP ½. La fourche avant n'est pas suspendue.
Une photo montre très probablement le constructeur assis sur sa machine, voir le blog de Jean Bourdache, Zhumoristenouveau.
 
Motocyclette Bonin, 1904

La dénomination "Moto-Auto" est apparemment une allusion aux perfectionnements dérivant de l'automobile lesquels caractérisent cette moto (refroidissement par l'eau, chaîne, embrayage à cône), mais en ce qui concerne le nom "Bréache", nous avouons notre ignorance.

Lors du Salon Agricole de Paris en 1905, la maison Bonin exposait une version plus luxueuse de la 2 ½ HP. Le nouveau modèle est muni d'une suspension intégrale.
 
Bonin, motocyclette 1905
 
Nous apprenons aussi que "la maison Bonin fabrique, sur les mêmes données, des tricars de 4 chevaux ; le changement de vitesse employé est du système Bozier" (La Vie Automobile). Ce tricar de 1905, appelé modestement "L'Idéal", est connu par une petite description sans image qui nous donne une information précieuse concernant son moteur. Celui-ci a probablement aussi propulsé  la moto, puisque les deux véhicules sont fabriqués "sur les mêmes données": il s'agit d'un moteur Bonin refroidi à l'eau, de 4 HP de puissance et d'une cylindrée de 427 cm³ (alésage par course 80 x 85 mm).
Voici les autres données techniques connues de la moto : le réservoir d'eau peut contenir 8 litres, celui d'essence 5 litres, celui d'huile, 1 litre ; allumage par bobine et accumulateurs placés au-dessus. Les tubes d'acier du cadre ont une épaisseur de 2 mm. Deux freins commandés par pédales agissant sur la roue arrière, desquels l'un est en même temps "modérateur de vitesse du moteur" (étrangleur, lève-soupape ?).
 
Bonin, motocyclette 1905. détails suspension
 
La moto est munie d'une suspension intégrale : la fourche avant est à roue poussée et à épaule, le basculement de la biellette articulée sur le bras de la fourche est rappelé par un ressort à boudin. Celui-ci est placé derrière le bras et travaille en extension. Un deuxième ressort placé en haut, qui travaille également en extension, amortit le rebondissement de la roue (ci-dessus à gauche). La suspension arrière fait appel à deux ressorts à lames avec glissière verticale, disposés sur les tubes de base (ci-dessus, à droite).
 
Le brevet de l'embrayage Bonin de 1904 (FR341724A) : comme cet embrayage fut utilisé aussi sur le tricar Bonin de 1906 conjointement avec un moteur Fulgur, nous en donnons une brève description.

Bonin, embrayage
 
La figure 3 du brevet montre l'embrayage à friction lequel est constitué principalement d'un cône mâle droit (a) claveté sur l'arbre moteur (c) et d'une cuvette (cône femelle, contre-cône) b solidaire du pignon (ou de la poulie) de transmission. Le moyeu du cône (a) qui forme une douille (d) est prolongé en dehors de la flasque de la cuvette (b) et bloqué sur l'arbre moteur par un écrou (e). Le cône (a) et la cuvette (b) sont maintenus en contact par un ressort r (embrayage embrayé). La douille porte deux plateaux (f, g) à roulements à billes (h, i), dont l'un prend appui sur le moyeu du cône (a), l'autre contre la flasque de la cuvette (b). Entre les plateaux sont fixés deux barres (j) entretoisées qui forment un cadre rectangulaire (fig. 2). Les barres (j) sont traversées par deux tiges de commande (k) qui portent deux chapes (l) dotées d'un galet. La rotation des tiges de commande fait tourner simultanément les chapes en sens inverse, et leurs galets excentrés écartent les plateaux (f, g). Par conséquent, le cône (a) est retiré et l'embrayage débrayé.
 
Bonin, embrayage
 
Le mécanisme de commande est constitué par une plaque (p) fixée sur le tube supérieur du cadre (Fig. 1 et 4) sur laquelle tourillonnent les longues tiges k, par des pignons (q) fixés sur les extrémités des tiges ainsi que par une poignée de manœuvre (s). Les deux pignons engrenant entre eux rendent les tiges solidaires du mouvement qu'imprime à une d'elles la rotation de la poignée de commande. Celle-ci est munie d'un petit levier à ressort, auquel est articulé un verrou (u) qui s'engage dans de différents trous d'arrêt ménagés dans un secteur (t) qui est fixé sur la plaque p. En tournant la poignée de commande un quart de tour dans la direction voulue, on passe de l'embrayage complet au débrayage maximum ou inversement. Le système de verrouillage permet de réaliser des degrés divers de débrayage partiel. Comme il faut embrayer assez vite lors du démarrage du véhicule, ce dispositif doit avoir un autre objectif que d'embrayer lentement en passant d'un trou à l'autre du secteur t. Il s'agit plutôt d'une sorte de régulateur de vitesse qui permet le ralentissement dans les agglomérations. Les cônes sont probablement métalliques, sans garnitures (comme sur l'embrayage du moyeu Rivierre) car celles-ci s'useraient vite durant un embrayage partiel prolongé. 

Au Salon 1906, Bonin présente un nouveau tricar plus luxueux, qui est établi pour le grand tourisme et muni de moteurs de 5 et 7 HP. Selon une annonce de vente, ce tricar était disponible encore en 1908.

Pour des raisons inconnues, Émile Bonin quitte Paris entre 1908 et 1910 pour s'installer à Caen. Tout comme Jean Bourdache l'avait déjà deviné, c'est bien Émile Bonin que l'on y retrouve dans les années vingt, conjointement avec son fils René Achille, en tant que constructeurs dont la fabrique est sise Place de l'Ancienne-Halle. (L'autre direction indiquée par Bourdache, 8, rue Saint-Pierre à Caen [Bottin du Cycle de 1922] est le domicile de Bonin). Ils fabriquent entre autres des écrous amovibles à ailettes, lesquelles ils ont brevetées. 
 
Écrous à ailettes, fabriqués par Bonin à Caen
publicité 1925
 
En 1927, Émile et René Bonin proposent des cycles et des motocyclettes "Spécial" avec châssis double berceau, moteur Moussard 250 cm³ et boîte à trois vitesses (ci-dessous). Fin 1927, les motorisations disponibles comprennent des moteurs deux-temps, des moteurs à un et deux cylindres et de 250, 350 et 500 cm³. Selon une autre annonce (à voir sur le blog cité plus haut de J. Bourdache), il s'agit de moteurs Moser deux-temps ou quatre-temps culbutés.

1927, publicité pour la motocyclette Bonin, Caen
1927

1927, publicité pour la motocyclette Bonin, Caen, avec dessin de la moto
1927
 
Au Salon 1928, les Éts Bonin se faisaient remarquer par deux motos dont la construction des cadres et de la suspension donnaient lieu à des discussions controverses. Le modèle ci-dessous est apparemment une version de la moto de 1927 munie d'une suspension arrière et d'un porte-bagages "heavy-duty". Peu courant est le tube oblique qui est disposé de chaque côté du réservoir et qui relie le tube de direction au tube de selle ou à la fourche arrière. Ces tubes renforcent probablement une poutre centrale portant le réservoir.
 
moto Bonin 1928
 
Encore plus originale est la construction du cadre à "triple berceau" du deuxième modèle à moteur Chaise. Les tubes formant le berceau et la triangulation arrière sont assez minces.

moto Bonin 1928, moteur Chaise


Après 1928, on ne trouve plus de traces des Éts Bonin.
 

Les Tricars Bonin

Tricar L'Idéal modèle 1905 


Bien que nous ne connaissions aucune image du tricar, nous pouvons nous en faire une idée assez claire, car son aspect n'aura pas différé beaucoup de la moto et du tricar modèle 1906 ci-dessous.
Selon L'Auto, ce tricar est "muni d'un moteur Bonin de 80 mm d'alésage et de 85 mm de course. Transmission par chaîne spéciale d'une résistance à la traction de 2,200 kilos.
La suspension à l'avant comme à l'arrière est par ressorts de voiture ; la machine est munie de deux freins commandés par pédales et agissant sur deux tambours ; l'un de grand diamètre, l'autre plus petit. Changement de vitesses Bozier avec mise en route à la toupie. Les réservoirs permettent d'emporter 10 litres d'eau, 5 litres d'essence et 1 litre d'huile.
Les accus ainsi que la bobine (Nilmelior) sont dissimulés dans une carrosserie d'aspect sobre et élégant tout à la fois. Carburateur Longuemare. Bougie "la Robuste". Enfin, l'appareil est pourvu d'un excellent silencieux.
Le pneu de la roue motrice est un Samson cuir et clous".
 

Tricar L'Idéal 1906


Bonin, tricar L'Idéal, 1906
(agrandir)
 
Le tricar L'Idéal modèle 1906, à avant-train fixe et à essieu brisé, est conçu pour le grand tourisme et pour une utilisation dans des régions montagneuses. Le châssis-cadre en tubes d'acier est, semble-t-il, assez bas et bien allongé. Tout comme sur la moto Bonin, le tube horizontal du cadre se termine derrière l'axe de la roue arrière. Il n'y a donc ni un tube de selle ni une fourche arrière supérieure au sens strict. Le siège du conducteur est placé sur le garde-boue, et le tube horizontal est relié au-dessous du siège à deux haubans solidaires avec les longerons latéraux du châssis entre lesquels est suspendue la roue arrière. La position très en arrière du conducteur fait nécessaire un guidon assez long.
Le rectangle allongé du cadre héberge l'énorme réservoir d'eau – il contient 16 litres – sous le tube horizontal, devant les réservoirs d'essence et d'huile, eux aussi grands pour assurer une large autonomie. La face arrière du réservoir d'essence suit la courbure du garde-boue. Comme il n'y a plus d'espace pour un compartiment adjacent pour la bobine d'allumage et les accumulateurs, ceux-ci ont été transferés à un coffre sous le baquet avant. Le grand réservoir d'eau séparé entraîne le choix d'un radiateur tubulaire en serpentin, dont le mode de construction permet une exécution assez bas pour qu'il trouve place sous le réservoir, entre la colonne de direction et le moteur. Il s'agit d'un refroidisseur G.A. (Grouvelle & Arquembourg), dont le tube ailetté a une longueur de 6 mètres.
 
tricar L'Idéal, moteur monocylindrique Buchet
 
Le moteur de la version de base est un Buchet de 5 HP (ci-dessus), dont le cylindre est entouré complètement par une chemise d'eau à travers laquelle circule l'eau par thermosiphon. Hormis ce monocylindre de 5 HP, le client pouvait choisir aussi un bicylindre Buchet à eau de 7 HP et un quatre cylindres Fulgur à eau, également de 7 HP.
 
moteur Buchet à deux cylindres
 
moteur Buchet à deux cylindres, réducteur Bozier
Bicylindre Buchet à soupapes d'admission automatiques, muni d'un réducteur Bozier 

Le moteur Fulgur 7 HP, dont l'allumage se faisait par compression, fut inventé par Édouard Cannevel et Jean-Joachim Journaux, qui le fabriquait aussi dans ses ateliers sis aux 52-56, rue des Cévennes, à Paris. Cet engin était suffisamment souple et coupleux pour que Bonin l'équipât au choix de l'acheteur de son embrayage au lieu d'un Bozier à deux vitesses. Une description de ce moteur hors normes ainsi que quelques renseignements concernant ses inventeurs se trouvent en bas du chapitre.
 
 Tricar-voiturette L'Idéal 1906, publicité
(agrandir)
 
Un grand pot d'échappement cylindrique est disposé transversalement devant le carter du moteur, les gaz brûlés s'échappent par des trous percés dans le périmètre de ses disques de base. Sur le tube d'échappement se trouve un réchauffeur, c'est-à-dire un tube métallique de dérivation qui amène des gaz chauds à une chambre du carburateur Longuemare série B pour compenser le refroidissement produit par le passage de l'air et l'évaporisation de l'essence. Le moteur porte un changement épicycloïdal Bozier à deux vitesses et embrayage à cône. La mise en marche du moteur se fait par une toupie que l'on monte sur l'extrémité de l'axe moteur. Elle comporte deux crans qui s'emboîtent sur deux tenons fixés sur l'axe. Ensuite, on enroule une corde sur la toupie et on tire. Pour réduire l'effort physique nécessaire, le moteur est muni d'un décompresseur "automatique" qui se ferme de lui-même, lorsque le moteur est mis en rotation par la toupie.
Une forte chaîne de transmission d'une résistance de 3.500 kg environ relie le pignon de sortie du réducteur à la couronne dentée en fonte d'acier, qui est fixée à la jante au moyen de huit attaches. Son énorme diamètre s'explique par l'absence d'un pignon réducteur à la sortie de la boîte.
 
Suspension arrière du tricar Bonin L'Idéal
 
Les deux freins agissent sur la roue d'arrière. Du côté de la transmission, il y a un frein à lame métallique garnie de cuir qui se serre autour d'un tambour solidaire au moyeu de la roue. Ce frein est brusque, mais étant donné que le cuir s'use vite, il n'est pas apte pour une utilisation continue. C'est donc un frein de secours. Le frein de service est un frein à sabot qui agit sur une poulie fixée de l'autre côté de la roue. Avec un diamètre de 45 cm elle offre une assez grande surface permettant le refroidissement rapide. Les freins sont commandés par deux pédales placées devant le marche-pied du conducteur.
La roue arrière est suspendue au moyen de deux ressorts à lames disposés sur les longerons latéraux du cadre et guidée par deux tubes articulés sur la fixation antérieure des ressorts. Le mouvement vertical est guidé par de longues glissières verticales. Il s'agit de ressorts renversés (c.-a-d. des ressorts à rouleaux roulés du côté de la pointe des feuilles), dont chaque œil est fixé par des jumelles aux deux attaches du longeron.
Ce type de suspension à lames est certainement encombrant et il est facile aujourd'hui de le critiquer comme lourde et inefficace. Il est déjà beaucoup plus difficile de trouver en 1905 une construction qui permet une course de débattement plus grande et qui possède un amortissement propre égal ainsi qu'une meilleure rigidité. Une telle suspension à ressorts demi-pincettes permet une course de la roue d'au moins 10 cm (un débattement de 100 mm est la valeur de base aussi des suspensions modernes).
L'avant-train est suspendu par deux ressorts à pincettes. Les pneus ont 65 mm de section (type voiturette, 650 x 65).
 

Le moteur Fulgur

 
 
Le moteur Fulgur, breveté par Cannevel et Journaux en 1903

La particularité du moteur Fulgur ("éclair" en latin) réside dans le fait qu'il ne comporte pas d'allumage. De ce fait sont écartés d'un coup tous les problèmes assez fréquents concernant les bougies, le trembleur, la bobine, les accumulateurs ou piles, la magnéto, etc. C'est la chaleur seule produite par la compression qui suffit pour que le mélange gazeux s'enflamme. Pour y arriver, le moteur Fulgur possède un taux de compression très élevé, la pression du gaz comprimé étant comprise entre 12 et 28 kg par cm². Il ressemble sur ce point au moteur Diesel qui pour le reste est pourtant tout à fait différent. Car celui-ci aspire et comprime de l'air pur et l'inflammation ne se produit qu'au moment de l'injection du carburant, tandis que le moteur Fulgur aspire et comprime un mélange homogène d'essence/air qui s'auto-enflamme par la chaleur de la compression. Selon les constructeurs, ce moteur fonctionne sans explosion, sans bruit et sans choc sur les organes mécaniques tels que bielles, vilebrequins, clavettes, etc. Qui plus est, sa souplesse et sa fidélité sont comparables à celles d'une machine à vapeur et la combustion complète permet d'obtenir un meilleur rendement (40 % par rapport aux 10 % des moteurs d'époque) et une grande élasticité de la puissance. Les qualités soulignées dans le brevet sont d'ailleurs bien réelles et ont mené plusieurs constructeurs à réaliser un tel moteur à allumage par compression, parmi eux Lohmann (1949), Opel, VW, Mercedes-Benz (F 700 "Diesotto", 2007) et dans l'actualité Mazda (Skyactiv-X), sans que ces projets, à l'exception du moteur Mazda dont l'allumage à haut régime se fait par bougie, soient arrivés à la fabrication en série. Face aux difficultés presque insurmontables d'éviter l'auto-allumage incontrôlé détruisant l'engin, il n'est peut-être pas étonnant que le moteur Fulgur ait aussi disparu sans entrer dans l'histoire de la locomotion. Néanmoins, ce moteur datant de 1903 mérite plutôt une place de choix dans les annales des sciences de l'ingénieur, car il peut être bel et bien le premier moteur HCCI (Homogeneous Charge Compression Ignition, allumage par compression de charge homogène) mis en pratique de l'histoire ! Actuellement, cet honneur est généralement attribué à un moteur auxiliaire pour bicyclette, lequel fut inventé en 1949 par Hermann Teegen et breveté en 1951 par les Lohmann Werke AG (Allemagne). Une description du moteur Lohmann se trouve sur le nouveau blog de Jean Bourdache (cliquez ici). Le manque de durabilité de ce moteur deux-temps à compression variable a vite conduit à son abandon, un sort qu'il partage probablement avec le Fulgur. Inspiré par les moteurs Diesel, le Fulgur est aussi l'un des premiers moteurs à essence de série ayant une culasse à flux transversal (Crossflow) avec soupapes en tête (ci-dessous).
 
moteur Fulgur, dessins du brevet
 
moteur Automoto 20CV, 1904L'architecture du quatre-cylindres en ligne ne diffère pas de celle d'autres moteurs à quatre-temps. Toutefois, les quatre cylindres sont apparemment fondés en un seul bloc au lieu d'être coulés deux par deux ou encore un par un. Le carter, sur lequel est boulonné le bloc de quatre-cylindres, s'ouvre dans le plan du joint horizontal et possède un palier intermédiaire. Comme beaucoup de moteurs de l'époque, le Fulgur est muni de deux arbres à cames (C) disposés de chaque côté de la rangée des cylindres et placés haut dans le bloc. Ordinairement, les deux arbres commandaient des soupapes latérales disposées dans une culasse en T à flux transversal comme sur le moteur 20 CV  à 4 cylindres de la voiture Automoto (1904), ci-contre.
Sur le Fulgur, par contre, les arbres commandent des soupapes en tête par des leviers oscillants à galet, qui jouent le rôle de poussoirs, ainsi que par tiges et culbuteurs.
 
détail du moteur Fulgur
 
Toute la particularité de ce moteur réside dans la construction de la culasse détachable. Celle-ci est dotée d'un dispositif ingénieux qui permet de varier le rapport volumétrique et de cette manière l'instant de l'allumage. Une condition nécessaire pour cela est la disposition des soupapes (S, ci-dessous) en tête, laquelle permet d'obtenir une chambre de combustion compacte. La variation de la compression est effectuée par un petit piston P par cylindre, lequel est disposé à côté des soupapes dans un troisième orifice, comme on le voit dans le dessin ci-dessous.
 
coupe de la culasse du moteur Fulgur, 1904

Le déplacement vertical des petits pistons P, qui détermine le volume de la chambre de compression, est commandé par des excentriques solidaires avec un arbre placé sur le sommet du moteur. Les tiges des excentriques (T, voir dessin du brevet) sont de longueur variable de façon à régler une fois pour toutes les chambres de combustion à un même volume. Pour donner de l'avance à l'allumage, le chauffeur tourne à l'aide du volant à main l'arbre portant les excentriques (ci-dessous) de manière que la capacité de la chambre de combustion soit diminuée et la compression par conséquent augmentée.  
 
détail du moteur Fulgur
 
Hormis l'allumage par compression, le moteur fonctionne comme tous les moteurs à quatre temps. Le lancement se fait par manivelle. Un régulateur centrifuge ("R" dans le dessin du brevet plus haut) entraîné par l'arbre à cames d'admission agit sur le carburateur à pulvérisation et niveau constant pour éviter que le moteur s'emballe quand il tourne à vide.
 

Les créateurs du moteur "Fulgur"
 
Le moteur Fulgur fut breveté le 7 décembre 1903 par Édouard Cannevel et Jean-Joachim Journaux.  Ce dernier se chargeait aussi de la fabrication dans son entreprise sise 52-56, rue des Cévennes, à Paris.

Édouard Alfred Oscar Cannevel, portrait de l'inventeur 1913L'ingénieur civil Édouard-Alfred-Oscar Cannevel, né à Saint-Nicolas-d'Aliermont le 26 août 1866, était le fils majeur de Gustave Émile Édouard Cannevel et de son épouse Théïs Albertine Legrand qui furent tous les deux horlogers. Le 11 juillet 1893 il épousa à Longueville-sur-Scie Alice Berthe Gervais. Ils avaient deux enfants, Édouard Georges Henri (*20 avril 1894 à Longueville-sur-Scie) et Germaine Odette Alice (*12 juillet 1897 à Longueville-sur-Scie). Édouard Cannevel est décédé à Courbevoie le 1er novembre 1920 selon l'acte de décès.
Étant avant tout ingénieur et inventeur, Cannevel écrivit aussi un livre sur la rotation de la terre et qu'il avait publié en 1903 après la démonstration du pendule de Jean Bernard Léon Foucault au Panthéon. (É. Cannevel, La Rotation de la terre démontrée par le pendule de Foucault, 1903). En 1891, Cannevel développa un régulateur électrique et en 1897 un Marque avec un lion, déposée en 1901 par la Societé "Le Phonographe Français".cinématographe. Il est également considéré comme l'un des inventeurs de la photogravure, ayant ainsi contribué aussi à l'invention de la trame. Le 12 janvier 1901, il fonda avec Paul Hébert la "Société du Phonographe Français"  avec siège social au 6, rue de la Bienfaisance, à Paris, laquelle produisait des cylindres pour le phonographe/ gramophone système Cannevel sous la marque "Le Conqueror" (ci-contre). Conjointement, Hébert et Cannevel avaient déposé un brevet concernant le "procédé de reproduction des cylindres phonographiques" (31 juillet 1900) ainsi que le brevet d'un appareil phonographique (6 août 1900).
 
Photo d'un phonographe Cannevel
Phonographe Cannevel
 
Puis Cannevel invente et produit des accessoires pour appareils photographiques, notamment le chronopose "Exact". Il s'agit là d'un dispositif en forme de règle à calculs ou bien en forme de montre de poche, lequel sert à déterminer instantanément le temps de pose précis suivant les différents sujets, l'état du ciel et le jour de l'année.
 
Photo d'une actinomètre appelé Le Chronopose Exact de Cannevel

Photo d'une actinomètre appelé Le Chronopose Exact de Cannevel en forme de règle.
L'actinomètre développé par Cannevel, appelé Le Chronopose "Exact"
 
Hormis celui du moteur Fulgur, Cannevel a obtenu trois autres brevets dans le domaine de la locomotion :
"Dispositif de sécurité pour voitures automobiles", 8 septembre 1913, FR456924 A,
"Perfectionnement aux jumelles élastiques pour ressorts de compression", 14 mai 1913, FR452316 A, et
"Carburateur automatique pour moteurs automobiles et autres", 10 juin 1914, FR467368 A.
 
Le carburateur Cannevel, 1914

J. Journaux
54, rue des Cévennes, Paris-Grenelle

 
Jean-Joachim Journaux, né le 25 avril à Paris et décédé le 1er juin 1930, était le fils unique du fabricant de machines à coudre Jean Frédéric Journaux (*9 sept 1820, Bouesse, + 9 juin 1872, Paris) et de son épouse Josephine Marie Rosalie Leblond (*2 sept 1822, Paris, +24 sept 1914, Clamart) qui était aussi le compagnon de son mari dans la maison Journaux, fondée en 1853. Après la mort de son père en 1872, Jean Joachim Jean Joachim Journaux, publicité pour les produits commercialisés sous la marque "Fulgur" en 1907reprit l'affaire. Il construisait d'abord des machines à coudre et des machines à écrire, puis des machines à vapeur et à air comprimé. En outre, il fabriquait des appareils électriques comme des microphones et des appareils téléphoniques. En 1892 environ, il commençait à fabriquer des bicyclettes, et dès 1897, il figure dans l'Annuaire du Commerce en tant que mécanicien-constructeur. À partir de cette époque, il commercialisait des pièces détachées pour bicyclettes (roulements à billes, moyeux, changements de vitesse) et pour motocyclettes, dont aussi des moteurs, sous la marque "Fulgur" ("éclair"). 
En 1892, Journaux breveta un changement de vitesse pour bicyclette, dont la pièce maitresse consiste en un "pignon bracelet" supplémentaire à charnière qu'on peut faire passer sur celui de la roue arrière de la bicyclette afin de modifier la multiplication, selon les besoins du cycliste ou le chemin à parcourir. Au-dessus du pédalier on remarque un levier de tension de chaîne avec l'aide duquel on peut faire basculer le pédalier et ainsi détendre complètement la chaîne. On peut ensuite aisément faire passer le pignon bracelet qui s'adapte à celui du vélo et ensuite on peut resserrer la chaîne.
 
La bicyclette Journaux, 1893, démonstration du changement de vitesse à l'aide du pignon bracelet.
(agrandir)
  
Au Salon 1905, Journaux présente la "Tractocyclette", une bicyclette munie d'un moteur placé sur la roue d'avant, entre le guidon et la tête de fourche, comme sur les premières Werner.  
 
Tractocyclette Journaux 1906
 
réclame de 1907 pour la Tractocyclette JournauxCe qui semble être un "retour au passé" profite néanmoins des perfectionnements intervenus entretemps qui font de la tractocyclette un véhicule intéressant pour tous ceux qui cherchent avant tout la légèreté, car l'ensemble du moteur et des accessoires ne pèse que 12 kg (La Nature 1906). Le petit monocylindre de 117,8 cm³ (50 x 60 mm) à cylindre et culasse en fonte, d'une seule pièce, développe une puissance de 1 – 1,25 CV à 1800 t /min. La poulie du moteur, sur laquelle est vissé le volant extérieur à bras, entraîne la roue avant par courroie ronde torse. Un enrouleur-tendeur articulé sur le support du moteur, qui est soutenu en avant par deux barres verticales, permet de régler en marche la tension de la courroie. L'allumage est par accumulateur, bobine et trembleur ; l'alimentation du moteur se fait par un carburateur à pulvérisation et niveau constant. Comme le réservoir d'essence n'est pas placé en charge, mais situé plus bas que le moteur dans le cadre, le conducteur doit mettre le réservoir sous pression moyennant une pompe à air fixée sur celui-ci pour monter l'essence au carburateur. La vitesse maxima est de 45 km/h, le poids total de la tractocyclette est de 28 kg environ.
 
Tractocyclette Journaux 1906 à moteur Garreau
 
Le constructeur de ce moteur, dont les origines remontent à l'an 1896, était l'ingénieur Armand Garreau, 43, rue Le Marois à Paris, puis 100bis, rue des Arts à Levallois  (ci-dessous).
 
1903 moteur Garreau et l'Autocyclette Garreau
L'Autocyclette Garreau et son moteur, 1903.
 
Jean-Joachim Journaux s'est déclaré en faillite le 14 janvier 1908.

De la vie privée de Jean-Joachim Journaux on ne sait que très peu. De son mariage avec Marie Chaupied est né un fils, Jules Joseph Journaux (*Paris 25 mars 1874, + Langres 25 août 1964), qui exploitait un magasin de motocyclettes à la même adresse (54, rue des Cévennes) dans les années 1906-1907.


 




 
Chapitre créé le 26 novembre 2018. Mis à jour le 20 avril 2019.
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