Au Coin du Tricar

Tricars et Voiturettes par Mortimer Mégret


 

L'auteur de l'article ci-dessous, le comte Charles Henri Théophile (dit Mortimer) Mégret, est né le 7 mars 1870 à Pau (Pyrénées Atlantiques) et décédé vers 1960. Il était le fils du sculpteur Louis Nicolas Adolphe Mégret (*1/11/1829, Paris, + 1911, Le Cannet, Provence) et de sa femme Rachel Adelaïde Moses (* 1832, London, + 22/6/1899 Ticehurst, Kent UK).
En 1919, Charles Henri Mégret adopta officiellement le surnom de "Mortimer", qu'il portait depuis son enfance et qui était depuis longtemps également son nom de plume.
Le 21/9/1897 il épousa à Londres Marguerite Sophie Marie, née Sebilleau, divorcée Tortat (* 12/12/1860 St-Jean d'Angély, Charente-Maritime).
Ensemble, ils ont acquis vers 1900 le Château d'Épluches près de Pontoise (Seine-et-Oise), où ils se rendaient souvent pour passer l'été.

Mortimer Mégret était homme de lettres, journaliste automobile et directeur de la "Pratique automobile vulgarisée".
Il est l'auteur du Manuel de Dion-Bouton, des ouvrages "La voiture d'occasion", "Guide pratique de l'automobiliste militaire en campagne" (1915), "Les perfectionnements automobiles" en trois tômes: 1905, 1906 et 1907, "Vers une vieillesse forte et heureuse, un homme de 90 ans vous en trace le chemin, petit manuel de pratique gérontologique" (1960) ainsi qu'un grand nombre d'articles et de publications dans de nombreuses revues spécialisées.
Dans l'article reproduit ci-dessous, paru dans la Revue du Touring-Club de France 1907, l'auteur affirme que le tricar est pour toute une catégorie de chauffeurs modestes un engine pratique et agréable, à condition qu'ils acceptent ses limites : deux places seules, une vitesse moyenne de 25 à l'heure et l'absence d'une protection contre le mauvais temps. Il aborde ensuite des aspects techniques comme la puissance du moteur, le mode de refroidissement, la suspension, etc.

 
L'AUTOMOBILE POUR TOUS
Tricars et Voiturettes
 

Tricar ou voiturette ? Économie ou confort ?

Avant de redresser ce point d'interrogation qui, pour beaucoup, se pose avec une passionnante anxiété, laissez-moi vous exposer la solution enfantine que, par mon courrier d'hier, apporta à cette question un de mes correspondants.
C'est un des petits profits de notre métier souvent morose de chroniqueur que de comporter parfois, à l'heure le képi du facteur s'encadre dans notre porte, quelques instants empreints de la plus douce gaieté ; à côté des lettres d'affaires, sérieuses et renfrognées, au milieu des questions généralement intéressantes et souvent instructives posées par des lecteurs, quelques missives saugrenues détonent, qui jettent dans la gravité de l'ensemble comme un retentissant éclat de rire. Parmi celles-là peut être classée celle qui, en deux temps et cinq lignes, remit d'aplomb le point d'interrogation bossu posé en tête de cette causerie. Laissez-moi vous la copier, dans son exquise simplicité : "Monsieur, vous avez publie récemment une étude sur les voiturettes en vous plaçant au point de vue de l'économie de ce moyen de transport. Cette économie, je l'ai trouvée et vais la réaliser. J'ai une motocyclette à laquelle je vais adjoindre une roue et un siège d'avant à deux places. Derrière moi une selle pourra supporter un jeune homme de poids léger. La transformation me coûtera quelques centaines de francs et pour une somme plus que modique je serai pourvu d'une voiturette à
quatre places ".
Et allez donc ! pas plus malin que cela ! Avec une voiturette-remorque à deux places, par derrière, avec un coffre à chien sous le siège avant, on aura la vraie voiture des familles à six places et à chenil, qui fera la pige à la somptueuse limousine et pourra, le jour où la route manquera d'attraits pour ses propriétaires, assurer le service de gare de l'hôtel de la localité !
Tout ceci n'est guère sérieux ; mais j'ai tenu à introduire cette élucubration baroque dedans ces lignes, car elle me paraît poser la question du tricar, question morale beaucoup plus que matérielle.
Le tricar peut rendre à toute une catégorie de chauffeurs modestes, que l'amour de la mécanique ne détourne pas du souci de leur budget, les plus agréables et méritoires services ; mais de l'âme de ceux qui l'occuperont doit être banni tout esprit d'imitation – même lointaine – des véhicules plus somptueux qui, bien souvent, sur la route, les nargueront de leur vitesse et les éclipseront de leur luxe. Pour ceux qui, avec un équipement strictement limité à deux places, se contenteront de la vitesse moyenne très raisonnable de vingt-cinq à l'heure, sans un souci trop raffiné des intempéries et des fantaisies du soleil ou de la pluie, le tricar est possible, mieux que possible, agréable et inlassablement serviable.
Son économie est notoire. Utilisée dans les strictes limites qu'a posées le constructeur, sa robustesse est réelle. Ce sont là qualités qu'on peut qualifier d'appréciables. Mais à elles doivent se borner ses prétentions.
Si son habitabilité sommaire paraît à ses occupants trop primitive ; si le tourbillon que soulève à ses côtés la somptueuse limousine qui s'enfuit rapide et hautaine flagelle leur amour-propre ; si l'obligation de ne jamais dépasser les autres et de toujours les laisser passer rembrunit leur humeur, qu'ils renoncent au tricar ; du petit instrument qui, à d'autres sait procurer joies et plaisirs, ils ne récolteront qu'humiliation et déboires.
Voilà comment doit être posée la question du tricar. Question morale beaucoup plus que mécanique, question de tempérament, question de personnes. Et voilà pourquoi, moins prétentieux que mon correspondant à la motocyclette à six places, je ne me chargerai pas de la solutionner.
Ces considérations générales égrenées, abordons l'examen du petit outil, de sa meilleure constitution, de sa plus rationnelle utilisation.
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Le moteur tout d'abord. Quelle force ? Deux ou huit chevaux ? Roquet ou percheron ? Ni l'un ni l'autre ; le roquet s'essoufflerait en vains efforts, la brutalité du percheron incommoderait les voyageurs et démolirait l'édifice.
L'admirable instrument que fut le tricycle à pétrole est mort de l'envahissement de ses cylindres par les pistons bouffis d'alésage et d'orgueil. Préservons le tricar du même travers et de la même fin. Entre trois et quatre chevaux telles nous semblent devoir être les limites de sa puissance. Moins, c'est trop peu pour monter les côtes sans y moisir outre mesure ; plus, c'est trop, c'est l'absurdité du 50 ou 60 à l'heure sur trois roues avec l'effarement, à l'avant, du passager-tampon, avec la dislocation rapide de l'ensemble.
 
PROTOTYPE DU TRICAR ACTUEL

Ce moteur, envisagé dans cette force, peut refroidir ou par l'air ou par l'eau. Auquel de ces éléments confierons-nous sa santé et sa fortune ? Dans l'état actuel de la question du refroidissement, j'opinerais pour l'eau avec un petit radiateur cloisonné placé sur les côtés. Le jour où nos constructeurs auront adopté pour le moteur à pétrole le refroidissement normal et logique – par turbine d'air, auquel tôt ou tard nous viendrons, ce jour-là. je vouerai volontiers aux orties du fossé pompes ou thermo-siphons !
L'allumage me semble devoir être exclusivement cantonné aux piles. Les accus sont malpropres et capricieux; leur contenu égare trop volontiers sa tendresse sur les genoux du conducteur. La magnéto est trop coûteuse. Tenons-nous aux piles, ces vieilles et fidèles amies.
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À la transmission maintenant. Sera-ce la chaîne, ou accueillerons-nous la courroie? Celle-ci a toujours eu mes sympathies et je crois qu'en matière de voiturette sa renaissance viendra ; mais il me semble que pour le tricar sa longueur est trop limitée pour ne pas donner lieu au glissement. Et glissement est ici synonyme de destruction et, aux côtés de ses syllabes viennent s'aligner les mots "mauvais rendement ". Donc la chaîne, pensons-nous, avec un dispositif de tendeur permettant d'obvier à son allongement.
Deux vitesses, par un appareil simple ; il en existe d'excellents qui, sous un encombrement modeste, réalisent une tenue parfaite et une robustesse réelle.
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La suspension devra être particulièrement soignée. Question de confort pour les voyageurs, question de protection surtout pour le châssis. Gros pneus partout, à l'arrière principalement, pour assurer plus de douceur pour assurer plus de résistance à la fatigue pénible de cette roue unique, travaillant souvent dans des conditions mauvaises sur la pente du bas-côté de la route où le tricar doit fréquemment se réfugier pour laisser passer les véhicules plus rapides.
Enfin un tout rigide et homogène, constitué en un véritable châssis d'acier par le constructeur. La motocyclette avec siège-avant ajouté me semble condamnable ; sa consistance est fragile, sa dislocation rapide.
Deux passagers en tout et pour tout. Pas de combinaisons arabes à places multiples dans le genre de celles imaginées par le correspondant dont je mettais tout à l'heure en lumière la géniale invention. Deux places et 150 kilos. Avec ça, avec des goûts modestes, et un amour-propre accroché juste comme il faut, le tricar constituera un brave petite automobile. Sans réunir toutes les qualités des voiturettes, il en comportera de suffisantes pour initier aux charmes de la locomotion mécanique bien des gens auxquels, pour y goûter, il suffira de dresser des piles de pièces de cent sous au lieu d'amonceler des tas de billets bleus.
Comte MORTIMER MÉGRET.
 

 

 
Chapitre créé le 26 novembre 2018
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