Au Coin du Tricar

Le Tricar par Lt. De La Besse



                                                                                                                        Dessin Walter Thor (1870—1929)
Joseph Auguste Marie Élie Barthomivat de la Besse (*1867), l'auteur du texte suivant, qui apparut dans la Revue du Touring-Club de France du 15 avril 1908, était officier de la cavalerie et lieutenant du 17ème régiment de dragons. Il est aussi connu en tant qu'inventeur d'un traîneau automobile (1909).
 
 
Le texte qui suit répond à un article apparu dans la Revue du Touring Club du 15 mars 1908 au sujet des voiturettes, dans lequel l'auteur, M. Maillard, déplore que les voiturettes soient devenues trop puissantes et trop chères pour des personnes n'ayant que des revenus modestes. La solution pour ce groupe de personnes, selon J. de la Besse, est le tricar. L'auteur relate ses expériences avec une trivoiturette qui s'avérait être bien supérieure à sa voiture de 16 CV sur les sinueuses et étroites routes de col dans les hautes alpes.  


AU SUJET DES VOITURETTES
Le Tricar

Que notre camarade M. Maillard me permette de lui adresser par l'organe de notre Revue toutes mes félicitations pour son très intéressant article — au sujet des voiturettes — paru le 15 mars dernier. Ah ! certes, oui, la petite voiture automobile fait fausse route en ce moment. Tous les défauts signalés sont absolument exacts, elle ne répond nullement au désir de la clientèle. Il faut à la modeste bourse, au chauffeur économe, un appareil, qui le transporte facilement et à peu de frais. Ce que je reproche personnellement à la voiturette du type courant, c'est d'être pareille à une grosse voiture, et même d'ambitionner des airs d'engin de course. Ce n'est pas là du tout ce que nous demandons. Et puis aussi, c'est d'être vraiment trop chère. Pour avoir un véhicule à deux places, une automobile en raccourci, en miniature, il faut s'infliger, pour commencer, une dépense variant entre 4 et 5.000 francs.
     Une fois muni d'un châssis et de sa carrosserie on n'a pas encore fait tous les débours nécessaires. Il faut aussi prévoir l'achat des accessoires, pneus et chambres à air de rechange, lanternes, phares, outillage, accu de rechange; j'en passe, soyez-en sûr, et des meilleurs (sans compter les impôts et les assurances), Bref, ce que le catalogue alléchant du constructeur vous offre pour 3.975 francs, nous revient en somme à 4.600 francs.
 
Eh bien, j'estime que ce prix pour les bourses modestes est vraiment excessif.
Ce qu'il nous faut à nous, petits chauffeurs, c'est le véhicule bon marché, et qui, en outre, ne nous ruine pas en cours de route.
Ce que vous demandez là est un mythe, dira-t-on, impossible à découvrir, encore plus impossible à réaliser.
Eh ! en êtes-vous bien sûrs ! Avez-vous si bien fouillé les catalogues et les magasins de l'industrie automobile, que vous ne puissiez y trouver un véhicule à deux places, simple, léger et surtout économique ! Peut-être pas? Pour ma part, j'en connais un, qui m'a rendu un fier service dans mon existence, et je serais un ingrat, si je ne venais vous dire cette merveilleuse histoire.
Je me trouvais dans une confortable ville des Alpes où je tenais garnison. Une excellente voiture de 16 chevaux me promenait par les routes nationales ou départementales les plus élevées, et j'escaladais avec orgueil les cols célèbres du Lautaret, du Petit-Saint-Bernard, du Mont-Cenis, et tutti quanti. Rien ne résistait à mon moteur. Or, un jour, je reçus l'ordre barbare d'aller habiter pour quelques mois un fort de la haute montagne. (Le Fort de l'Infernet, dominant Briançon.) Les camarades me vantaient l'air pur, la vue admirable, et le calme absolu dont on y jouissait. C'était du reste, la vérité sans fard; le fort se trouvait perché à 2.400 mètres d'altitude. Parbleu, me disais-je, avec une excellente voiture comme la mienne, on peut prétendre à tout. Au lieu de grimper au fort à pied, ce qui fait trois heures de marche, nous monterons en 40 minutes les 11 kilomètres de route qui y conduisent. Du 20 à l'heure, c'est là un minimum. Donc, au jour dit, je m'élançai à l'assaut de mon nid d'aigle, de toute la puissance de mes 16 chevaux. L'illusion fut brève. La route avait trois mètres de large, un sol rugueux, une pente moyenne de 11 % avec des passages nombreux, très nombreux, à 18 et 20%. C'est là une côte où bien des constructeurs devraient tenter quelques essais. Une trentaine de virages en épingles à cheveux, complétaient la topographie des lieux. Les 16 chevaux me déclarèrent tout de suite qu'ils ne se sentaient pas les reins assez solides pour une telle besogne, et sans crier gare me plantèrent là. Mon humiliation était à son comble. Et puis je comptais les heures de marche à faire, aux jours de permission, pour descendre à la coquette ville de Briançon (alt. 1.206 mètres), et les formidables différences de niveau à escalader ensuite, 1.194 mètres, pour rentrer dans mon domaine.

Un négociant en automobile vit ma triste figure et me consola.
      J'ai, me dit cet homme avisé, une machine qui ferait bien votre affaire. Elle est petite et ne paye pas de mine, mais elle vous conduira sûrement au port, et même au fort. Ça s'appelle un tri-car. Connaissez-vous le tri-car? Je vais vous le montrer.
      Et il me mit incontinent en présence de deux fauteuils montés sur trois roues... Un volant de direction au centre de l'appareil, une paire de leviers nickelés, quelques pédales assaisonnaient le tout. Un moteur de 4 chevaux ¾ se cachait sous le siège du conducteur, mais il vous avait un petit air trapu et décidé, qui me fit plaisir. Deux vitesses, embrayage au pied, freins; tout ce qu'il faut pour une auto qui se respecte. J'hésitais. Allons me dit le négociant tentateur, essayez, vous serez convaincu. Le volant dans la main, je me mis en route. Ah ! mes amis ! Ce diable de moteur ronflait, poussait, tirait, si bien qu'en une heure et demie je me trouvais en haut de la montagne. J'en étais ahuri !.....
      Cependant, je ne me rendais pas encore. La montée c'était parfait, mais la descente ! Les freins seraient-ils assez résistants pour une pareille dégringolade ! Ils allaient brûler, me laisser ensuite couler dans le précipice comme une simple avalanche. Pâle de crainte, me voici de nouveau en route. Cinquante minutes plus tard j'étais en bas. Les tambours de freins avaient à peine tiédi. Ceci pour la raison très simple que le véhicule très léger, nécessitait un effort minime pour le retenir. J'achetai le tri-car, et depuis ce jour, il m'a conduit bien des fois sur les hauteurs des forts du Briançonnais. Mon garage était situé à 2.400 mètres d'altitude, en face du Pelvoux, de la Meige et de la Barre des Ecrins.
      Voici, mes chers camarades du T. C. F.. un conte des mille et une nuits. Je n'ai aucun orgueil à l'avoir inventé, car il est rigoureusement exact.
En toute sincérité, le tri-car, est un instrument précieux, il a toutes les qualités de nos excellents mulets de montagne, il est sobre, endurant, économique, il a le pied sûr et le jarret solide. Si donc vous voulez faire du tourisme à bon compte, ne méprisez pas ce modeste véhicule. Sans doute, il ne fait pas grande figure, il n'a que trois roues, l'infortuné, mais il a si bon cœur, qu'il mérite qu'on le considère. Et pour cela, contrairement au proverbe, il ne demande même pas que l'on paye....... tout au moins très cher.

C'est un trésor, vous dis-je !

Lieutenant DE LA BESSE.


 


Chapitre créé le 26 novembre 2018 
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