Au Coin du Tricar

A propos du tricar par Baron fils



Le texte qui suit est la lettre d'un lecteur à la rédaction de La Vie Automobile, Nº 408 (juillet 1909), dans laquelle l'auteur, Baron fils, s'applique à défendre le tricar contre les critiques absolument injustifiées à ses yeux. Sa défense du tricar intervient à un moment, où le public commence à se tourner de plus en plus vers la voiturette bon marché et les critiques se manifestent contre l'ancien chouchou de la presse automobile, le tricar. 
L'auteur ne mentionne pas la marque de son tricar, mais la description du siège, "en forme de ceux des faucheuses" portant "quatre tiges ; chaque tige fait travailler deux ressorts, l'un à la compression et l'autre à l'extension", ne laisse planer aucun doute : il s'agit d'un tricar Contal type B, modèle 1907 (à moteur 4 HP).
 
À propos du tricar
 
Monsieur le Rédacteur en chef,
 
Je rentre aujourd'hui d'une randonnée magnifique faite en tricar, et me permets de relever les critiques absolument injustifiées adressées à ce dernier.
Je fais de l'automobile depuis onze ans, j'ai débuté avec un tri de Dion, 1 cheval ¼, puis avec une voiture avec moteur Aster 9 chevaux, dont je me suis servi pendant six ans. Je possède actuellement, depuis deux ans, un tricar. J'ai fait environ 70 000 km. avec ces trois instruments, soit en service de réclame commerciale, soit en promenades. Je puis, je crois, produire une opinion au point de vue pratique. Eh bien ! il n'existe, à l'heure actuelle, qu'un moyen de faire de l'automobile pratique et réellement économique, c'est avec un tricar.
Il ne faut pas lui demander plus qu'il ne peut, mais, bien entretenu, il peut plus que bien des voiturettes.
Le budget d'un tricar, amortissement du capital compris, pour 10 000 km par an, ne dépasse pas 500 francs, à la condition de ne pas se faire (en argot) estamper par les garages et marchands d'accessoires, et de faire les petites réparations soi-même (toutes faciles à faire avec un outillage restreint et du goût.
L'usure des pneus est insignifiante, à la condition de prendre les modèles les plus forts allant sur les jantes, à l'arrière un pneu de voiturette extra-fort 700—75, semelle antidérapante. Celui que je possède m'a fait 15 000 km, a été rechapé il y a quelque temps, et pourra certainement en faire autant ; les pneus avant (voiturette ordinaire) viennent d'être changés ; avec de bonnes chaînettes doubles et à larges mailles, on ignore les crevaisons. J'ai soin de vérifier, toutes les semaines, la pression de mes pneus (précaution indispensable, se servir d'un manomètre à main et non de celui d'une pompe).
 
Le tricar n'est pas fait pour rouler par mauvais temps, pas plus, au reste, qu'une voiturette, même munie d'une capote et d'une glace. Les courants d'air et remous par mauvais temps rendent une voiture inhabitable pour de longs parcours. La voiture fermée, à conduite intérieure, permet seule de sortir par tous les temps, mais n'est pas abordable pour les bourses modestes.
Quant à l'équipement du tricariste, il est des plus simples : un pardessus de fourrure, dit peau de bique pour l'hiver ; pour l'été, un paletot de velours avec col pouvant se relever et se boutonner serré, un pantalon supplémentaire en toile légère imperméabilisée, une casquette à rabat. Cet équipement vous permet d'affronter toutes les intempéries, de rentrer en cas de surprise par la pluie, et d'être propre en arrivant à l'étape.
Quant au tricar, une pièce de soie imperméabilisée et emportée dans le coffre ne tient pas de place, vous permet de le recouvrir et de le protéger pendant un orage ou une averse en rase campagne. On ne reçoit pas plus de poussière dans un tricar que dans n'importe quelle voiture découverte.
 
Le tricar n'est pas fait pour rouler sur le mauvais pavé. Exemple : Nantes, mais il est très suffisant pour le bon pavé. Exemple : Rochefort.
Il est fait pour la campagne et pour marcher à bonne allure, de 35 à 45 km à l'heure. (Avec un moteur de 4 chevaux ½ environ, force très suffisante et que l'on ne devrait pas dépasser.) Il est merveilleux de régularité sur la route, côtes ordinaires, palier et descentes se font presque à la même allure.
Le tricar n'a pas besoin de cette horreur mécanique, le changement de vitesse par train baladeur.
Le tricar demande du soin, un nettoyage régulier, à être entretenu et surveillé par son propriétaire lui-même ; il demande surtout un bon graissage. L'usure d'un moteur à grande vitesse est insignifiante si vous employez, d'une façon prodigue, de l'huile aussi épaisse que possible.
Le tricar est suffisamment stable à deux personnes pour circuler à bonne allure sur toutes les routes poussiéreuses ou humides sans déraper, si l'antidérapant arrière est en bon état.
La stabilité du tricar réside surtout sur ce que, supporté par trois points, il est toujours d'aplomb, et, de plus, s'incline comme une bicyclette dans les virages qui peuvent être pris à vive allure.
Un seul reproche restait à faire au tricar, sa suspension. Le tricar demande à être suspendu à l'avant, c'est au reste facile, et ils le sont tous : quant à l'arrière, la question est plus complexe. Si vous le suspendez, vous lui enlevez sa rigidité et sa stabilité.
 
La suspension du siège de mon tricar me paraissant insuffisante, j'ai modifié moi-même cette suspension, et depuis, elle me donne satisfaction.
Le siège, en forme de ceux des faucheuses porte quatre tiges ; chaque tige fait travailler deux ressorts, l'un à la compression et l'autre à l'extension, enfermés dans un tube de cuivre rempli d'huile jusqu'à une certaine hauteur et formant amortisseur à huile aux grandes oscillations.
Cette suspension me procure un confortable très suffisant pour pouvoir circuler sur n'importe quelle route et est au moins égale, sinon supérieure, au confortable du baquet avant.
 
Je suis parti jeudi 17 juin, avec ma femme, des Essarts par Fontenay-le-Comte, La Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente, Marennes, Royan et excursions aux environs de cette ville, j'arrive ce matin après avoir parcouru plus de 600 km en trois jours, dont plus de 70 dans des routes forestières à peine praticables, à une moyenne de 34 à 40 à l'heure (sans ennui, sauf un maillon de chaîne cassé), sans frais et sans fatigue.
Je pourrai vous citer vingt excursions faites avec mon tricar dans le même genre. Entre autres l'année dernière, au mois de juillet, parti de Pornic avec un ami, par Paimbœuf (traversée de la Loire en bateau, ce qui aurait été impossible avec une voiturette), Donges, La Roche-Bernard, Vannes, puis retour par Donges et le Pellerin, rentré à Pornic pour dîner à sept heures du soir, soit plus de 350 km dans la même journée.
 
Et l'on viendra dire que le tricar n'a que des pannes, qu'il n'est pas pratique, qu'il coûte aussi cher qu'une voiturette.
Le tricar demande des modifications et perfectionnements de détail, c'est certain (quelle est la voiture ou la voiturette qui n'en a pas besoin), mais tous très faciles à faire.
Le tricar a un défaut capital, qui empêche son essor : il n'est pas à la mode, il n'est pas chic, il n'épate pas les amis.
Mais soyez persuadé qu'il est actuellement le seul moyen de faire de l'automobile à deux d'une façon réellement économique.
 
Veuillez agréer, etc.
 
Baron fils
 
Officier d'académie, delégué du T.C.F (Touring Club de France)







 
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