Au Coin du Tricar

Le Moyeu Gaston Rivierre

 
 
Moyeu Rivierre, carte souvenir du Salon 1906
 
Le 29 octobre 1904, Louis-Clément-Gaston Rivierre fait breveter un changement de vitesse à deux rapports et embrayage à cône (brevet Nº FR347.535). Il s'agit d'un changement de vitesse à train épicycloïdal calqué sur le réducteur Bozier, qui, lui, se monte sur l'arbre moteur. L'ensemble du changement Rivierre par contre constitue le moyeu de la roue motrice d'une motocyclette ou d'un tricar. L'objet de la description suivante est la version réalisée par Rivierre, qui se démarque sur plusieurs points de la version brevetée.

 
Le moyeu Rivierre, première version à roulement à billes

 
moyeu Rivierre, schéma, première version à roulements à billes
 
Pour faciliter la compréhension de la description suivante, les lettres majuscules sur le dessin ci-dessous à gauche et sur le dessin en coupe ci-dessous au centre désignent les mêmes composants. Les lettres minuscules font référence exclusivement au dessin ci-dessous à gauche. 

moyeu Rivierre, schéma, première version à roulement à billesLe corps du moyeu (dessin ci-contre) est constitué par les deux flasques en tôle (ou plutôt cuvettes) "A" et "A1", qui sont réunis entre eux. Leurs bords sont percés de trous destinés à recevoir les rayons de la roue. Au flasque "A" est fixée la partie (femelle) extérieure "C" de l'embrayage à cône "CD". Le flasque "A" est fermé par la partie mâle "D" du cône qui est monté sur la douille centrale "B".
Sur le flasque "A1" est boulonné un tambour plat "Q" formant cuvette. À l'intérieur de l'espace vide créé par le flasque "A1" et le tambour "Q" est logé le train épicycloïdal formé par la roue soleil "N", les 3 roues planétaires "O" et la couronne dentée "P", qui est fixée à l'intérieur d'une cuvette "r" solidaire du tambour "Q". Sur le fond du flasque "AA1" sont percés à 120º l'un de l'autre les trous recevant les axes des roues planétaires. Le pignon soleil "N" est monté de manière fixe sur la douille centrale "B", le tambour "D" portant la couronne "P" est monté fou sur la douille "B".
 
Regardons maintenant la coupe du moyeu (ci-dessous). L'ensemble du changement de vitesse est monté sur l'axe "G", dont les extrémités filetées se fixent dans la fourche de la roue. Solidaires de la partie centrale de l'axe sont les deux cônes d'un roulement à billes respectivement, dont les cuvettes (H), étant filetées, sont montés sur la douille centrale "B" du dessin ci-dessous. La cuvette extérieure (côté du pignon R) sert au réglage des roulements.
 
moyeu Rivierre, première version à roulement à billes, coupe
 
La douille centrale "B" en acier tourne non seulement librement sur l'axe "G". Son côté extérieur tourne en outre dans deux coussinets en bronze phosphoreux, dont l'un est logé dans une ouverture au centre des flasques "AA1", tandis que l'autre est monté sur le disque "Q". La douille centrale porte plusieurs divers filetages destinés à recevoir le plateau "t" avec butée sur lequel est boulonnée la couronne dentée ou la poulie de transmission au moteur et son contre-écrou, et, de l'autre extrémité, le pignon (roue libre) R de transmission au pédalier.
 
Pour donner une meilleure impression visuelle de l'appareil, nous avons "piqué" les deux photos ci-dessous du blog incontournable de Jean Bourdache ("incontournable" n'est pas un mot vide, car nous mentionnons ce blog sur presque chaque page de ce site). Les lettres que nous avons ajoutées permettent de localiser les composants sur les dessins ci-dessus (et vice-versa). Les photos montrent le côté droit (dans le sens de la marche) du moyeu, où est hébergé le réducteur épicycloïdal. Il convient de noter que ces photos comme les dessins représentent la forme générale du moyeu Rivierre, et non la version spécialement établie pour le Mototri Contal.
 
Moyeu Rivierre 1905, photos
 
Sur la photo de gauche, on reconnaît en arrière-plan la couronne de transmission au moteur, les deux flasques (A-A1) avec les trous destinés à recevoir les rayons de la roue ainsi qu'au premier plan le tambour plat "Q" Entre le tambour et le flasque A1 est disposée un disque annulaire en tôle dont seulement le bord est visible, lequel est vissé par 8 boulons sur le flasque A1. Ce disque intermédiaire doit être muni d'une ouverture centrale et ne forme pas corps avec le tambour Q, car ce dernier tourne indépendamment du corps du moyeu. Sur l'axe fileté "G" est vissé le pignon de transmission au pédalier ; l'écrou central qu'on serre à l'aide d'une clé à ergot bloque apparemment la cuvette réglable du roulement à billes, sur laquelle est posé un cache-poussière que l'on ne voit pas sur la photo.
Sur la photo de droite, le tambour plat "Q" et la plaque annulaire sont enlevés et la partie intérieure du flasque droit (A1) est ouverte. La photo révèle en outre un détail que les dessins n'indiquent pas aussi clairement : le flasque est composé d'une carcasse en tôle qui présente sur sa circonférence les trous d'entrée des rayons déjà mentionnés et que l'on voit sur la photo à gauche. Dans cette carcasse est insérée la cuvette en fonte que montre la photo de droite. Les 8 trous percés dans sa périphérie reçoivent les vis qui maintiennent en place la plaque annulaire dont le bord est visible sur la photo à gauche. À l'intérieur de la cuvette sont montés les trois roues planétaires (O) dont les axes en acier trempé sont vissés dans le fond de la cuvette. Une grande rondelle en tôle, fixée sur les axes, maintient les roues en place. Au centre se trouve le pignon soleil "N" qui est solidaire de la douille principale "B" en acier. Au premier plan, on voit la couronne (P) à denture intérieure qui est solidaire de la cuvette "r". Quand la cuvette "r" est montée, la couronne est en prise avec les roues planétaires et la cuvette "r" tourne folle sur la douille "B". Le tambour plat "Q ", qui porte le coussinet de la douille principale "B", tourne à l'état monté avec la cuvette "r". Absent sur les photos (mais visible sur le dessin ci-dessous, à gauche) est le frein métallique à double enroulement agissant sur l'extérieur du tambour plat "Q". En serrant ce frein pour obtenir la petite vitesse, on immobilise le tambour "Q" et par là la cuvette "r" portant la couronne "P".
 
En l'absence de photos montrant le plateau de commande et l'embrayage, nous dépendons exclusivement des dessins que nous présentons à nouveau ci-dessous pour plus de commodité. Les lettres majuscules font référence aux deux dessins, les minuscules à celui de gauche.
 Comme déjà mentionné, l'embrayage en fonte douce avec bande de bronze rapportée est composé par un cône femelle "C" qui est solidaire de la cuvette (flasque) "A" et qui tourne avec elle, ainsi que par un cône mâle "D" qui coulisse latéralement à l'intérieur d'un coussinet à plateau "t" fileté sur la douille centrale "B". Deux clavettes décalées de 180º empêchent que le cône mâle tourne à l'intérieur du coussinet, mais il tourne avec la douille "B". Les deux parties de l'embrayage "C" et "D" sont maintenues en position embrayée par la pression de 4 ressorts à boudin "F", qui sont maintenus en place par des axes vissés dans le cône mâle "D". Ces ressorts prennent appui d'une part sur des écrous "o" fixés sur les axes, et d'autre part sur le fond des 4 godets "J" emboutis dans lesquels ils sont logés. Les godets sont traversés par les axes le long desquels ils peuvent coulisser librement. Comme on voit sur les dessins, les godets sont insérés dans des trous pratiqués dans le grand plateau "t" et maintenus en place par leurs bords qui s'appuient sur le plateau. Les axes traversent aussi le plateau "t" ainsi qu'un plateau "u" plus petit et sont fixés conjointement par des écrous "o" qui servent à la fois à régler la tension des ressorts.
 
 moyeu Rivierre, première version à roulement à billes, schéma et coupe
 
On comprend que, pour débrayer, il faut exercer une pression sur les quatre axes de manière que les ressorts soient comprimés et le cône mâle "D" soit repoussé. Le mécanisme auquel est confiée cette mission se compose de deux Moyeu Rivierre, plaquette de commandeplaquettes "K" dotées de bossages et d'un plateau "u" muni de 4 trous dans lesquels pénètrent des parties cylindriques faisant corps avec les écrous "o" déjà mentionnés, qui retiennent les ressorts. Ce plateau "u" porte de plus une cavité centrale dans laquelle est logée une butée à billes "L" qui est composée d'une cage à billes et de deux rondelles trempées. Les deux plaquettes "K" (ci-contre, dessin issu du brevet) sont logées entre le plateau "u" à butée et un écrou spécial "M" vissé sur l'axe G du moyeu. Quand l'embrayage est embrayé, les deux plaquettes enserrées entre l'écrou "M" et le plateau "u" maintiennent une position telle que les bosses de l'une viennent se loger dans l'évidement de l'autre, de sorte que l'espace qu'ils occupent est minime. Si, par l'action d'un levier et d'une tringle, l'une des plaquettes est déplacée de sa position et l'autre est immobilisée, leurs bossages viennent se superposer et poussent la butée à billes vers l'intérieur. Par conséquent, le cône mâle "D" se déplace et l'embrayage est débrayé. Aussitôt que les plaquettes prennent leur position d'origine, l'embrayage sera à nouveau embrayé.

Fonctionnement : comme on sait, la commande d'un réducteur épicycloïdal s'effectue par un frein à sangle – en l'occurrence un frein à double enroulement – et par l'embrayage à cône (voir chapitre Introduction).
Rappelons aussi que la douille centrale porte à l'une de ses extrémités le plateau "t" sur lequel est boulonnée la roue dentée ou une poulie de transmission et que le cône mâle est monté sur la douille, tandis que le cône femelle est monté sur le corps du moyeu. De ce fait, quand les deux parties du cône sont en prise – embrayage embrayé – la douille portant la plateau avec la roue dentée ou la poulie de transmission fait corps avec le moyeu. Par conséquent, le moteur entraîne via la transmission le moyeu et avec lui la roue motrice. C'est la grande vitesse. Quand elle est enclenchée, la roue soleil solidaire du moyeu entraîne les roues planétaires qui tournent en vide sur leurs axes, car le frein à double roulement, destiné à immobiliser la couronne à denture intérieure, est desserré, de sorte que le tambour tourne fou. La chaîne de transmission attaque donc directement le moyeu, mais les engrenages ne travaillent pas (il n'y a pas de "prise directe" de l'engrenage).
 
Pour enclencher la petite vitesse, il suffit, avec l'embrayage débrayé, de serrer au moyen de la commande Bowden le frein à double enroulement autour du tambour. Le moteur entraîne via la transmission la douille et la roue soleil, qui à son tour fait tourner les roues planétaires dont les axes sont solidaires du corps du moyeu. Par conséquent, les roues planétaires, en roulant sur la couronne dentée immobilisée, entraînent le moyeu et la roue motrice à une vitesse de 1 : 3, c'est-à-dire le moyeu tourne à une vitesse trois fois inférieure à celle de la douille. La réduction 3 : 1 a pour conséquence que la petite vitesse est assez "courte", ce qui permet une vitesse maximale de 10 km/h environ.

Mise en marche : avec le véhicule sur place, on débraye en tirant vers soi le levier de débrayage placé sur le tube horizontal du cadre et on donne un coup aux pédales. La douille centrale étant entraînée par la chaîne vélo, entraîne dans son mouvement le moteur via la transmission par chaîne ou courroie. Une fois le moteur démarré, on peut partir en actionnant la commande Bowden (manette au guidon) qui agit sur le tambour de la petite vitesse. La machine se met en marche et, une fois lancée, on peut embrayer pour obtenir la grande vitesse. Le novice est prié de ne pas embrayer et tirer à la fois la manette qui serre le frein à enroulement pour ne pas enclencher en même temps la petite et la grande vitesse !

Le moyeu Rivierre, étendue des fournitures et prix de montage (catalogue Nil Supra 1908) :

Moyeu Rivierre, accessoirs, prix, montage
 
 
Le moyeu du Mototri Contal et le nouveau modèle à roulement lisse
 
Le moyeu Rivierre pour le mototri Contal n'est pas seulement une version plus grande et robuste du moyeu pour motocyclettes. Il s'agit d'un moyeu construit spécialement pour ce tricar et qui fut fabriqué en licence par Contal. Étant donné que le moteur du mototri Contal est muni d'un pignon réducteur qui transfère la transmission au côté droit du moteur, la transmission par chaîne se trouve aussi au côté droit du véhicule (voir chapitre Contal). Par conséquent, le moyeu est monté à l'inverse dans la fourche, de sorte que la roue dentée de transmission, dont le diamètre est assez petit à cause du pignon réducteur du moteur, se trouve au côté droit. Il va de soit que le moyeu et les commandes étaient specialement adaptés à cette position de montage.
Comme le tricar Contal n'a pas de pédalier, le petit pignon de transmission est supprimé sur le moyeu. Le dessin ci-dessous représente une coupe du réducteur Contal. Comme on voit, le réducteur se trouve ici à gauche et l'embrayage à droite.
 
Moyeu Rivierre, coupe du moyeu Contal. Roulement lisse
 
La conception et le fonctionnement du moyeu pour Contal restent pratiquement inchangés par rapport au moyeu "normal". Mais l'axe fixe (O) et la douille centrale ont été modifiés, parce que tous les roulements à billes furent remplacés par des roulements lisses. Cette modification fera bientôt son entrée aussi sur tous les moyeux Rivierre, car les roulements à billes, en dépit de grands progrès réalisés dans leur fabrication vers 1905, avaient causé des problèmes.
 
Lettre de Gaston Rivierre, 1909Gaston Rivierre a donné une description des modifications qui distinguent son nouveau modèle dans une lettre à un client datant du 25 mai 1909 (agrandir la lettre) :
"Le moyeu que vous avez est de l'ancien modèle que je ne fabrique plus, et si je l'ai fourni, c'est parce qu'on a insisté à avoir le modèle à roulement à billes, tandis que mon modèle actuel est à roulement lisse avec axes de 16 m/m, cémentés, qui ne donnent jamais d'ennuis. De plus, dans ce nouveau modèle, les cônes sont entièrement en fonte, sans bande de bronze rapportée, ce qui donne de bons résultats.
Je crois donc qu'il serait indispensable que vous fassiez le sacrifice de m'envoyer votre moyeu pour que je vous fasse la transformation en moyeu à roulement lisse, ce qui nécessiterait le remplacement de la douille centrale, de l'axe, des cônes d'embrayage, de la bague de bronze du corps du moyeu, et pour cette transformation je vous ferai le prix exceptionnel de 70 fr."
 
La photo ci-dessous à droite montre le côté de l'embrayage du moyeu Rivierre-Contal. On reconnaît les petits leviers pour le débrayage/embrayage ainsi qu'une platine dotée d'un trou oblong à droite. Celle-ci se fixe apparemment sur la fourche afin d'éviter que les leviers de commande tournent avec le moyeu. Le trou oblong permet de déplacer le moyeu dans les pattes de la fourche pour régler la tension de la chaîne de transmission. Derrière les commandes on reconnaît le plateau à butée "u" (voir dessin en haut, à gauche) avec les 4 axes des ressorts ainsi que le plateau "t" sur lequel est boulonnée la couronne dentée de transmission.
Moyeu Rivierre, ContalLes commandes du moyeu sont en nombre de trois. L'embrayage est commandé soit par un petit levier placé sur le tube horizontal du cadre (type A, image ci-dessous), soit par un grand levier placé au côté droit du conducteur (type B). Le deplacement du levier est transmis par une succession de tringles à l'une des deux plaquettes de commande disposées du côté droit du moyeu (flèche jaune). L'autre plaquette (flèche bleue) commande le débrayage et est reliée par une tringle à la pédale droite. La petite vitesse est commandée par la pédale gauche et une tringle qui actionne le frein métallique disposé autour du tambour immobilisant la couronne dentée du réducteur.
 
 
Moyeu Rivierre et son commande sur mototri Contal, photo

Une des caractéristiques du moyeu Rivierre-Contal sont les deux petits leviers que l'on voit au-dessous du moyeu. Ceux-ci actionnent les deux freins à segments extensibles qui ont remplacé les freins à enroulement de la version "normal" et dont les tambours sont disposés aux deux côtés du moyeu. Pour freiner, on appuie sur la pédale droite qui commande à la fois le débrayage.

Sur la conduite du mototri Contal, voir le chapitre "Contal".
 
En ce qui concerne l'utilisation sur les tricars, le moyeu Rivierre restait toujours à l'ombre du réducteur Bozier, le changement de vitesse préféré de la plupart des constructeurs de tricars (Austral, Bonin, Bozier, Griffon, Lurquin-Coudert, etc.). Plus léger et moins encombrant que celui-ci, le Rivierre fut favorisé par les motocyclistes, d'autant plus qu'il était facilement adaptable à une moto quiconque. On lui reprochait de compliquer le démontage de la roue arrière, d'être disposé aux chocs et de projeter de l'huile sur le pneu.
Pour assurer un bon fonctionnement du changement de vitesse, le conducteur devait surveiller le réglage des commandes et, si l'embrayage en grande vitesse était imparfait, il fallait vérifier le jeu de la plaquette à bossage. Le levier de commande étant poussé dans la position d'embrayage, le jeu normal devait être de 1,5 à 2 mm. En position débrayage, on constatait que le cône était bien débrayé. Au cas contraire, il fallait contrôler l'état des bossages et, s'ils étaient usés, les remplacer. Le cône de l'embrayage en fonte douce pouvait être maintenu un peu gras ; il ne fallait le laver à l'essence que s'il patinait en côte. 
 

 


Chapitre créé le 13 décembre 2019
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