La Suspension
La suspension est l'ensemble des ressorts par l'intermédiaire desquels les essieux supportent le châsssis avec la mecanique et la carrosserie. Ordinairement, le châssis portant la carrossérie est suspendu au-dessus des ressorts, de sorte que le moteur est soustrait aux chocs de route. Pour éliminer l'inconvenient que les passagers subissent les trépidations du moteur, on a parfois suspendu en plus le baquet du passager (p. ex. la "double suspension" de la tri-voiturette Austral type G). Sur quelques tricars, le châssis reposait directement sur les roues, sans l'interposition de ressorts, et seulement le siège était suspendu. Hormis le manque total du confort surtout pour le conducteur, le moteur était soumis au chocs de route. Mais ce mode d'agencement avait sa raison d'être, car il présente l'avantage de maintenir rigoureusement la roue motrice dans un plan parallèle au plan des roues directrices. On évite ainsi les flexions de côté et les torsions du cadre qui résultent de la flexion inégale des ressorts.
La fonction de la suspension est d'absorber les chocs de la chaussée et de les transformer en oscillations. Elle doit en outre assurer à tout moment une parfaite adhérence des roues au sol. La première exigence visant surtout le confort des passagers, était d'une importance capitale pour le succès du tricar auprès du public – c'était aussi le manque d'une suspension qui a "tué" le tricycle. À la dernière, qui vise surtout la sécurité, les constructeurs n'ont pas accordé une importance particulière en vue de la faible vitesse d'un tricar. Cela avait pour conséquence que, en dépassant une vitesse de 40 km/h environ, le tricar "saute comme une balle" (Baudry de Saunier).
En ce qui concerne le confort, des essais ont montré qu'une période d'oscillation de la masse principale (carrosserie) d'un véhicule comprise entre 0,8 Hz et 1,2 Hz (1 Hertz = 1 oscillation par seconde) est la plus supportable pour les hommes, mais des fréquences qui ne dépassent pas 2 Hz sont permissibles dans certaines conditions. Les fréquences plus élevées secouent la colonne vertébrale et donc le système nerveux central ; les fréquences trop basses peuvent causer des nausées.
Le système de suspension se compose des pneus, des ressorts et du rembourrage de siège.
Les pneus
mais aux obstacles qu'il faut "boire". La coupe qui lève Bibendum est remplie de clous et de morceaux de verre.
Les ressorts
Les ressorts sont les éléments qui relient les masses non suspendues, c'est-à-dire les composants qui subissent des chocs directs (comme les roues, les fusées, l'essieu, etc.), aux masses suspendues (le châssis portant la mecanique, la carrossérie, etc.). Les chocs de la chaussée font entrer les roues surtout en oscillations verticales, qui à cause de l'accélération des masses non suspendues et suspendues ont comme conséquence une variation de la charge dynamique (= charge totale instantanée) des roues qui diminue les forces de guidage latéral des pneus. Cela d'autant plus en cas de grandes masses non suspendues, puisque les roues sont pressées plus lentement contre la chaussée. Surtout sur routes mauvaises, il faut donc choisir les masses non suspendues aussi faibles que possible, une condition qui seuls sur les tricars à suspension intégrale est satisfaite.
Les forces des masses suspendues agissent également sur la suspension. Dans un véhicule non chargé, les ressorts n'exercent qu'une pression faible sur les roues à cause de leur tension initiale modeste. En roulant sur un obstacle, les roues ont un mauvais contact avec la route et le véhicule ne se laisse plus diriger à précision. Sur un tricar d'environ 200 kg, la charge additionnelle d'un passager joue un rôle non négligeable pour la tenue de route.
Sur les tricars, on n'a habituellement employé que deux types de ressorts, les ressorts à lames, qui étaient de loin les plus répandus, et, dans une bien moindre mesure, les ressorts hélicoïdaux ou "ressorts à boudin". À de très rares exceptions près (P. Bruneau, Lurquin-Coudert), l'utilisation de ressorts hélicoïdaux était restreinte à la suspension de la roue arrière, tandis que les ressorts à lames ont été utilisés tant pour la suspension de l'essieu avant que pour celle de la roue d'arrière. Pour la fabrication des ressorts on employait un acier Martin supérieur dont la résistance primtive de 80 kg/mm² environ, atteignit après trempe et recuit 120 kg/mm² environ, avec un allongement correspondant de 7 – 8 %. Pour les ressorts de qualité spéciale, dont le prix était beaucoup trop élevé pour l'utilisation sur des tricars, on employait des aciers mangano-silicieux dont la résistence s'élevait à 150 kg/mm², avec un allongement de 6 %. Les aciers pour ressorts à lames aujourd'hui couramment utilisées possèdent une résistence de 140 – 150 kg/mm², avec un allongement de 6 %. Ces aciers modernes adaptés pour une sollicitation moyenne correspondent donc aux meilleurs aciers pour ressorts que l'on pouvait trouver à l'époque. À cela s'ajoute un façonnage supérieur des surfaces (densification, polissage) lequel augmente la résistence aux efforts alternés. La plus faible résistance des ressorts anciens, les routes mauvaises, à cause desquelles les ressorts atteignaient parfois leur point critique de flexibilité, et le fait que les tricars ont été souvent impitoyablement surchargés, expliquent les ruptures relativement fréquentes, surtout dans le cas des ressorts à boudin. La cassure était plus à craindre par temps froid, l'acier devenant très cassant par la gelée.
Les ressorts à lames
Les lames sont maintenues ensemble, à la partie médiane, par un goujon d'assemblage qui assure que les feuilles dont les arcs de courbure ont des rayons différents, sont amenées à adhérer les unes aux autres (ci-contre : les lames d'un ressort à l'état détendu). Le déplacement latéral des feuilles est empêché soit par de petits ergots appelés étoquiaux (C) qui glissent dans une rainure ou encoche (C') de la lame voisine, soit par une nervure (e) à laquelle correspond une dépression (d) sur l'autre face, soit par des étriers (f).
Jaujard. Cette suspension à ressorts demi-pincette fut brevetée en 1906 par Jean Jaujard, le constructeur de la motocyclette La Guerrière. Étant donné que très peu est connu sur Jaujard, nous avons ajouté une digression consacrée à ce constructeur au bout de cette page. Le lecteur y trouve aussi le texte intégral du brevet de la suspension.
Le mouvement vertical est guidé par de longues glissières verticales. Les ressorts sont renversés (c.-a-d. les rouleaux sont roulés du côté de la pointe des feuilles, voir plus loin) et chaque œil est fixé par des jumelles aux deux attaches du longeron.
Ressorts transversaux. Sur les tricars, les ressorts à lames disposés transversalement sur l'essieu ont été rarement employés (tri-voiturette Rochet, La Française-Diamant).
Cette solution offre l'avantage d'un poids réduit par rapport à l'utilisation de deux ressorts plus lourds et permet aussi de renoncer à un châssis suffisamment robuste et lourd pour fixer deux ressorts longitudinaux. Mais un ressort transversal n'a pas de rigidité dans le sens de la marche, raison pour laquelle son utilisation restait réservée pour les essieux arrière sur les voiturettes plus lourdes. Une exception à cette règle faisait la marque Ford qui à l'époque montait des ressorts transversaux aussi sur l'essieu avant de ses voitures (ci-dessus).
Tricar La Française-Diamant (1905)
Mais on les employait fréquemment sur les tricars anglais et allemands (Göricke, Fafnir, N.S.U., etc.) pour la suspension des baquets et des caisses. En France, c'était la marque Stimula qui a suspendu le baquet avant de ses tricars par des ressorts en C. Ordinairement, on a employé sur les tricars des ressorts en C ou en double C sans articulation, dans lequel les lames extérieures vont d'une extrémité à l'autre (ci-dessus, à gauche). Ils amortissent les chocs dans le sens longitudinal aussi bien que dans le sens vertical.
Tricar N.S.U. 5 CV, 1905
On a combiné aussi un ressort à pincette avec un ressort en C, comme sur le dessin ci-dessous à gauche.
Ressorts en crosse. Seulement par souci d'exhaustivité, nous mentionnons aussi les ressorts en crosse (ci-dessous, C) qui étaient assez répandus sur la suspension arrière des voitures à cause de leur souplesse. C'est une demi-pincette que l'on aurait sectionnée en deux, les lames étant maintenues dans la région sectionnée par des brides. On a généralement associé le ressort en crosse et la demi-pincette, l'articulation des extrémités voisines de ces ressorts se faisaient sur jumelles (ci-dessus à droite et ci-dessous).
Cependant, les ressorts en crosse, combinés avec des ressorts à boudin ou à demi-pincette, ont été fréquemment utilisés dans les années treinte sur les suspensions des sidecars.
Sur les tricars, on ne trouve que des demi-ressorts inversés type Cantilever (Austral type G).
Suspension tricar Austral type G série 1 (à gauche) et type G
Les ressorts hélicoïdaux ou à boudin
Ressorts à boudin de progression linéaire (à gauche) et de progression progressive (à droite). Les ressorts à feuille large (au milieu) étaient réservés aux poids lourds.
Sauf quelques rares exceptions (Decauville 1898, Stabilia 1912), les ressorts en hélice ou à spirale ne furent pas employés en automobile à l'époque, mais ils l'étaient fréquemment dans les tramways. Une exception constituent les véhicules très légères comme les motocyclettes et motocycles.
Les ressorts hélicoïdaux sont fabriqués en fil d'acier que l'on enroule en hélice régulière autour d'un mandrin. Les spires formant les extrémités du ressort sont utilisées pour l'appui et ne sont pas appelées à se déformer (spires inactives). Un ressort hélicoïdal ne travaille que dans le sens de la compression des spires, lors de laquelle le fil d'acier effectue un mouvement de rotation autour de l'axe longitudinal du ressort. C'est pourquoi on peut considérer un ressort à boudin comme une barre de torsion que l'on a enroulée en hélice. La compression a pour effet une légère augmentation du diamètre des spires laquelle il faut tenir en compte si le ressort doit être monté à l'intérieur d'un tube.
Le grand avantage des ressorts hélicoïdaux est leur poids réduit et leur encombrement relativement faible, grâce auquel ils se sont imposés avec l'avènement de la suspension avant indépendante. Les inconvénients principaux par rapport aux ressorts à lames sont qu'ils ne peuvent pas supporter les forces de poussée latérales et qu'ils n'ont pas d'amortissement propre. Par conséquent, on a besoin des bras de guidage pour la transmission des forces de poussée ainsi que d'amortisseurs.
Avant l'arrivée de telles constructions modernes à bras de guidage que l'on voit sur les dessins ci-dessus, on montait les ressorts à boudin à l'intérieur de tubes coulissants (Lurquin-Coudert). Ceux-ci, destinés à absorber les forces de poussée latérales, se usèrent très vite. Les ressorts à lames, par contre, aident le positionnement des essieux et la suspension au corps sans ajout d'aucun élément supplémentaire pour réagir à la force motrice ou de freinage.
Bruneau. Beaucoup plus simple, mais également efficace est la suspension avant du tricar Bruneau. Elle se compose de deux ressorts à boudin très forts et en même temps très élastiques. Le cadre se trouve maintenu perpendiculairement à l'essieu avant par deux tiges en acier coulissant dans deux longues douilles brasées sur l'essieu. Les ressorts recouvrant les tiges en acier, sont interposés entre le cadre et l'essieu, ce qui donne une suspension très douce, sans déformation dans le parallélisme des trois roues, lequel est difficile à conserver avec des ressorts à pincettes. Cette suspension est centrale, de sorte que le conducteur bénéficie de ladite suspension sans cependant que la personne assise puisse, en se penchant, faire le tricar incliner à droite ou à gauche.
Stimula. Le système appliqué dans la trivoiturette Stimula, présente, dans son ensemble, un triangle dont les trois sommets sont articulés, et dont un des côtés peut diminuer ou augmenter de longueur. La fourche inférieure du cadre du tricar est articulée, d'une part au pédalier, l'autre part aux pattes arrière, qui reçoivent également l'attache de la fourche supérieure, laquelle est articulée en ce point et au sommet du tube porte-selle.
Le système élastique proprement dit, comprend deux tubes coulissant l'un dans l'autre, à frottement doux, fixés, l'un au sommet de la fourche, l'autre à une pièce articulée sur un bossage, et trois ressorts à boudin concentriques placés dans l'intérieur de ces deux tubes et tendant à les écarter.
Lorsque la roue rencontre un obstacle, elle se soulève ; son axe décrit un arc de cercle dont le centre est le point d'articulation ; les ressorts se compriment et, par suite, le choc au lieu de se transmettre directement et brutalement au cadre, est presque totalement absorbé.
Rochet. La suspension à l'arrière de la tri-voiturette Rochet-Bruneau se fait par deux longs ressorts surmontés d'un pont à glissière système Bruneau (breveté), que guide un autre point rivé au châssis.
L'élasticité des ressorts
Les oscillations
Pour éviter que cela ne se produise, il faut diminuer la durée de la péridode d'oscillation au moyen des amortisseurs de vibration (ci-dessus, à gauche). Cela est autant plus important que les vibrations assez fortes du moteur peuvent elles aussi entrer en resonance avec les oscillations de la caisse et augmenter le risque de dérapage.
À l'époque, le montage d'un amortisseur (souvent en accessoire) était une option réservée aux voitures puissantes et lourdes (ci-dessus). Les tricars, naturellement, n'en avaient pas le droit.
Comme tous les véhicules, les tricars sont soumis à trois modes principales d'oscillations : les oscillations verticales dont nous avons déjà parlé, les oscillations de tangage provoquées surtout par l'accélération et le freinage, et les oscillations de roulis qui se produisent en virage. Montés d'habitude dans l'axe longitudinal du tricar, les ressorts à lames absorbent les forces motrices et de freinage sans necéssité de bras de guidage. Mais ils sont également capables d'absorber des forces en direction transversale en se tordant. Comme les ressorts à une ou deux lames se prêtent bien aux oscillations transversales, on les a montés en direction transversale sur plusieurs avant-trains pour tricars, bien que l'effet de ressort soit faible. La capacité de torsion aussi des ressorts à nombreuses lames est la condition essentielle qui permet les mouvements latéraux du châssis et de la carosserie ainsi que le mouvement de l'essieu.
Sur les dessins ci-dessus, le type de ressort n'est pas pris en compte, pas plus que les différences de voie et de cambrure. Le dessin à gauche montre le soulèvement d'un côté d'un véhicule léger à essieu rigide allant à faible vélocité. Le châssis portant la carrosserie se décale latéralement de la distance Δy, ce qui provoque des secousses. Le dessin à droite représente l'inclinaison latérale de la carrossérie d'un angle ψ autour du centre de roulis D qui se trouve au centre de l'essieu, assez près du centre de gravité. Le bras de levier, sur lequel agit la force latérale qui provoque le roulis, est de longitude moyenne (la longitude est la distance entre le centre de roulis D et le centre de gravité).
La torsion des ressorts, reliés à la fois au châssis et à l'essieu, leur permet d'absorber ces mouvements. L'inclinaison de l'axe rigide que l'on voit sur le dessin ci-dessus à gauche lors du soulèvement d'un côté du véhicule ne se produit pas dans le cas d'une suspension à ressorts à boudin guidés par tubes coulissants, laquelle fut employée sur la plupart des tricars Lurquin-Coudert (ci-dessous).
L'avantage de cette construction est qu'elle permet une suspension indépendante ; le débattement vertical d'une roue n'est pas transmis à l'autre. Il n'a pas de changement de voie non plus. Sur le dessin à droite on voit que le roulis ne provoque aucun déplacement du châssis et de la carosserie. Le centre de roulis D est situe plus bas, au sol. Le bras de levier de la force latérale est par conséquent long, ce qui favorise théoriquement une inclinaison plus grande de la carrosserie. Mais il y a beaucoup d'autres facteurs qui y exercent une influence importante et les tricars Lurquin-Coudert notamment étaient connus pour leur faible inclinaison latérale.
Particulièrement ressenti sur un tricar est le roulis en virage à cause des ressorts assez souples et de l'absence de tout dispositif antiroulis (s'il est fait exception de quelques constructions à ressorts transversaux). L'inclinaison du cadre de moto et de la carrossérie peuvent être une surprise désagréable pour un conducteur qui s'est accoutumé à l'inclinaison d'une bicyclette ou d'une moto vers l'intérieur de la courbe. Car le tricar, malgré son aspect de motocyclette, est un véhicule à deux traces et en tant que tel, s'incline vers l'extérieur du virage. Pour aller vite, il faut donc que le cavalier bascule son poids comme le pilote d'une moto avec sidecar.
Digression sur la marque Jean Jaujard – La Guerrière
Nous saisissons l'occasion d'apporter quelques informations cruciales sur le créateur méconnu de la suspension Jaujard et des motocyclettes La Guerrière, bien que celui-ci – autant que nous sachions – n'ait pas construit de tricars.
Jean Jaujard est né le 23 janvier 1864 à Sainte-Foy (Gironde). Son père Jean Jaujard était le propriétaire de la maison L'Exquis Colonial, fondée en 1858 à Bordeaux, une entreprise spécialisée dans l'importation de café et dans la production du café torréfié en grains (ci-dessous).
Vers 1900, la famille s'installe à Asnières (Seine), car Jaujard apparaît pour la première fois dans l'Annuaire 1901 en tant que constructeur des motocycles "La Guerrière" au 39, rue Pierre Joigneaux à Asnières. Dans son magasin, Jaujard vend des vélos à chaînes (c.-à-d. non acatènes), des motos La Guerrière, des tricycles et quadricycles ainsi que toutes sortes de machines et appareils.
Fin mai 1910, Jaujard, entre-temps devenu fabricant de cycles, se déclare en faillite, mais il reste à la même adresse jusqu'aux années trente.
Chapitre créé le 13 octobre 2020