Au Coin du Tricar

Valter - La Foudre

 
Bien que Paul Valter n'ait pas construit de tricars, nous nous permettons de faire une digression sur Valter/La Foudre, d'abord, parce que Jean-Luc Lamouroux, qui possède un moteur Buchet d'une La Foudre, porte un vif intérêt à cette marque, et ensuite, parce que c'est sûrement un thème d'intérêt général.
 
Le nom du constructeur Valter est parfois écrit "Walter" dans les articles de presse, et cette dernière orthographie est la forme d'origine de ce nom allemand (de l'ancien haut-allemand Waltheri, "chef de l'armée", dérivé de waltan, "régner", et heri, "armée". L'équivalent français du nom Walt[h]er est Gaut[h]ier). Néanmoins, la famille utilisait l'orthographie "francisée" Valter sur tous les documents officiels (acte de mariage des parents, registre matricule du recrutement de Paul) et cette orthographie apparaît aussi sur les brevets d'invention et la publicité. "Valter" est sans aucun doute l'orthographie correcte dans le cas présent.
 
Paul Nicolas Valter est né le 8 avril 1868 à Dieuze (Moselle) comme fils de Nicolas Valter et de Marie Dessez. Nous ne savons rien de sa formation professionnelle. Selon la presse et la liste des adhérents au Touring Club, il était ingénieur, mais aucune source officielle ne le confirme. Lors de son recrutement en 1888, il indique être fabricant de bicyclettes. En raison de son obésité, il faisait son service militaire dans les services auxiliaires. Le registre matricule du recrutement nous apprend aussi que Valter fut naturalisé français par décret du Président de la République en date du 21 août 1898, puisque Dieuze, son lieu de naissance, appartenait à l'Allemagne de 1871 à 1918.
En 1894, il obtient conjointement avec un certain A. Masuy le brevet pour un système de commande sans chaîne pour bicyclettes, tandem, etc. (brevet nº 242.411, non retrouvé). Ce système "consiste en deux roues d'angle dentées, calées l'une sur le pédalier, l'autre sur l'essieu de la roue d'arrière, et en un arbre porté par le cadre et terminé par deux roues d'angle engrenant avec les premières" (L'ingénieur civil, 15 mai 1895). En 1896, on retrouve Paul Valter au 1, cité Guillaumot, à Paris (XIIe) en tant que fabricant de bicyclettes, mais l'entreprise déménage avant 1900 au 7, rue Mousset-Robert (Paris XIIe). Le 13 mai 1901, on apprend la liquidation de l'entreprise Valter, constructeur de cycles et automobiles, faisant le commerce sous la dénomination "Société française des cycles sans chaînes et automobiles" Libertas (marque commerciale de la société dès 1896).
 
Triporteur Libertas 1901
 
En juin 1901 apparaît une nouvelle adresse additionelle, 149, rue Michel-Bizot, Paris XII, sur plusieurs réclames pour bicyclettes et triporteurs Libertas ainsi que pour une bicyclette à pétrole munie d'un moteur Valter.
 
Bicyclette à pétrole Valter, 1901
 
La conception générale de cette bicyclette à pétrole ressemble assez à celle de l'Autocyclette Clément (voir l'annexe V.A. Doué), mais le moteur 2 CV ½ fut construit par Valter, dont le nom est visible sur le carter du dessin ci-dessous. Le constructeur vendait aussi ce moteur en kit s'adaptant à n'importe quelle machine au prix de 300 fr. Les 500 moteurs mentionnés dans l'annonce ci-dessous et les bicyclettes Libertas constituent probablement le stock restant après la dissolution de la société dont Valter était le directeur.
 
Bicyclette à pétrole Valter, 1901, détail
(voir l'annonce complète)
 
Le 1er mai 1902 a lieu la formation de la Société Française de Cycles et Motocyclettes C(aroline) Meyer et Valter, sise 8, cité Guénot et 245, bvd Voltaire (maison d'angle avec la cité Guénot), à Paris XI. La durée de la société au capital de 4000 fr. est limitée à dix ans, le directeur est Paul Valter. Caroline Meyer (* 25 juin 1870, Dorlisheim/Alsace, + 7 décembre 1920, Paris) était sans doute la compagne de vie de Paul Valter, mais le couple ne s'est jamais marié, car l'acte de décès de Meyer confirme qu'elle était "célibataire".
 
 La Foudre, publicité 1902
 
Les motocyclettes produites par la société seront commercialisées sous le nom "La Foudre". La première annonce connue de la nouvelle société date de juillet 1902 et présente une fois de plus la bicyclette à pétrole munie du moteur Valter 1 CV ½.
Le deuxième modèle connu de la marque apparaît sur plusieurs publicités datant de février et mars 1903. Cette motocyclette à cadre classique est munie d'un moteur "La Foudre" licence Buchet de 2 CV ½ à culbuteur sur l'échappement (voir la description de ce moteur). Comme on se souvient, le moteur Buchet quart de litre était au début un 2 CV ¼ (66 x 70 mm, 239,36 cm³). L'indication 2 CV ½ de la réclame Valter fait donc référence à la version légèrement plus grande de 246,67 cm³ (67 x 70 mm), qui fut aussi utilisée par Gaston Doué. Comme on remarque sur le dessin ci-dessous, il s'agit du moteur Buchet à volants intérieurs et carter de distribution déplacé vers la droite. La transmission est par courroie directe.
 
La Foudre, publicité 1903
Rodolfo Muller, cycliste, Tour de France 1903
En février 1903, le coureur cycliste et journaliste sportif italien Rodolfo Muller fait un Tour de France sur une moto La Foudre à moteur lic. Buchet 2 CV ½. Son moteur était encore doté d'un carburateur St-Denis, alors que les moteurs Valter – Buchet que nous verrons ci-dessous sont tous munis d'un carburateur Longuemare série E.
Muller participait un mois plus tard en tant que cycliste au Tour de France.  (agrandir la miniature ci-contre)
 
 
 carburateur Saint-Denis Bonnières, 1901, dessin
Carburateur Saint-Denis, Bonnières, 1901

La Foudre, publicité 1903
 
Du 16 au 20 septembre 1903, trois motos La Foudre participent sans succès au Critérium du quart de litre sur 100 km qui se déroule au vélodrome du Parc des Princes (Paris).
 
La photo ci-dessus montre l'un des frères Millo avec sa La Foudre. Le moteur Buchet, qui est encore à volant extérieur, a reçu pour l'occasion une culasse refroidie à eau. Le réservoir d'eau est monté derrière le tube de selle sur les haubans de la fourche. Un refroidisseur n'est pas visible. Par rapport au dessin sur les réclames ci-dessus, le cadre est légèrement modifié au niveau de la douille de direction, à laquelle le tube oblique est relié un peu plus haut, alors que le tube horizontal est positionné plus bas. Par conséquent, les réservoirs d'huile et d'essence ainsi que le compartiment à pile situé entre les deux ont gagné en hauteur et le réservoir d'huile prend une forme triangulaire en avant.
Deux mois plus tard, Valter engage ses motos au Concours d'endurance sur 1000 kilomètres (10 – 15 novembre 1903) dans la série Quart de litre.
 
 Jeanne Herveux avec moto La Foudre 1903, concours d'endurance 1000 km
 
Les photos ci-dessus et ci-dessous représentent la future aviatrice Jeanne-Aline Herveux (*10/12/1885, Paris, +16/1/1955, Londres ; l'orthographie Herveux au lieu de Herveu est confirmée par l'acte de naissance et par celui du mariage) avec sa moto Valter à moteur Buchet quart de litre sans volant extérieur. Le cadre montre la même modification au niveau de la douille de direction que celui de la moto de Millo. Le silencieux est placé en arrière du moteur.
 
Jeanne Herveux avec moto alter / La Foudre, 1903
 
Fernande Clouet et Jeanne Herveux avec moto La Foudre, 1903

Simonet, plaque de constructeurLa photo ci-dessus montre Jeanne Herveux (au milieu, avec lunettes) au départ avec Fernande Clouet (née Depéry, *26 août 1878 à Paris, +10 avril 1940 à Prissé / Saône-et-Loire) qui ne participera pas à cette épreuve. À droite, le coureur Trochel qui pilotera l'autre Valter (nº 13) tourne le dos au photographe. Malgré une chute à cause d'un chien, Jeanne Herveux pouvait terminer la course.
 
La motocyclette ci-dessous, vendue aux enchères à Retromobile en février 2018, porte un écusson marqué Ch. Simonet, Cycles & Autos, rue Juge 23, Paris, au même endroit sur le réservoir où la Valter de Jeanne Herveux porte un écusson Valter/La Foudre.
Mais le cadre de cette moto ne diffère pas de celui d'une Valter modèle 1904 (comparez les motos de Millo et de Hérveux) – même la fixation caractéristique du moteur Buchet est identique : le carter est lié au moyen de deux platines en forme demi-lune à un tube oblique très court, qui termine déjà à la hauteur du cylindre.

motocyclette Simonet

moto Simonet à moteur Buchet

moteur Buchet, collection LamourouxLe carter du moteur est marqué E. Buchet, et non La Foudre licence Buchet comme sur la publicité mentionnée plus haut. Il en est de même pour un moteur Buchet en possession de Jean-Luc Lamouroux (ci-contre), un moteur qui jadis a propulsé une moto La Foudre, car les pattes de fixation (montées en sens inverse sur la photo) sont marquées La Foudre Paris (ce marquage est absent sur les pattes de la "Simonet"). On peut en conclure que Valter a renoncé à fabriquer lui-même le moteur Buchet sous licence et au lieu de cela, il a préféré de l'acheter directement au motoriste. Les deux moteurs sont munis de volants plus petits à l'intérieur d'un carter plus volumineux. Par rapport au modèle plus ancien à volant extérieur, le carter de distribution est déplacé vers la droite. 
Le moteur de J.-L. Lamouroux a une cylindrée de 277 cm³ (70 x 72 mm). Il s'agit probablement du Buchet 3 CV proposé par La Foudre à partir de 1904 (voir plus loin).
Le rôle précis de Simonet n'est malheureusement pas clair. Charles-François Simonet (*16 février 1863 à Paris +16 juin 1928 à Paris) était forgeron et mécanicien de profession. Comme son frère Alexandre Amand (*20 octobre 1873 à Vanves, + 2 mars 1916, frappeur), il pratiquait le cyclisme en compétition. Au moins en 1902 et 1904, Charles Simonet était vice-président du Club Véolcipédique Grenellois. Alexandre Simonet exploitait un atelier de motocycles au 22, rue de Lourmel (Paris XVe), situé à une distance d'environ 200 m de la rue Juge où se trouvait le local de Charles. On peut présumer avec suffisamment de certitude que Simonet avait sa propre marque de bicyclettes et qu'il avait, peut-être en tant qu'assembleur, le droit d'apposer son logo sur la motocyclette de la photo.
 
La Foudre, publicité 1904
(1904)
La Foudre, publicité 1904En 1904, la gamme s'élargit. Valter propose maintenant 11 modèles de vélos, et ses motos sont propulsées par des moteurs Buchet de 2 HP ½, 3 HP et 4 HP ½ (ce Buchet 4 HP ½ est peut-être le bicylindre en V refroidi à air de 478,72 cm³ [2 x 66 x 70 mm] qui a aussi propulsé le tricar Pierre Ligez). Pour des raisons inconnues, la 2 CV ½ a été baptisée "Marius Thé". Mais autant que nous sachions, ce spécialiste de l'entraînement des cyclistes n'a pas enfourché une La Foudre en compétition. En tout cas, il n'a pas piloté une des motos La Foudre engagées à la Course d'endurance Paris-Bordeaux en 1904. La seule La Foudre qui apparaît sur une photo de l'événement est celle de Joyeux (nº 49), voir plus haut
Par rapport aux annonces de 1903, les réclames de 1904 montrent l'évolution du cadre que nous avons déjà constatée sur les motos de Millo et de Jeanne Herveux : le tube oblique part plus haut de la douille de direction légèrement plus courte, le tube horizontal inférieur est positionné plus bas et le réservoir d'huile prend par conséquent une forme triangulaire en avant. La bobine d'allumage n'est plus fixée sur le tube de selle, mais elle est logée dans le compartiment à pile.
Nous pouvons examiner le modèle 1904 grâce à deux photos qui montrent la moto nº 49 pilotée par Jean Thédore Joyeux qui a remplacé Galliot dont le nom apparaît dans la liste des participants à la Course d'endurance Paris-Bordeaux 1904. À en juger par l'état de la moto, ces photos ont été prises après l'événement, lors de l'arrivée de Joyeux à Paris. Mais l'homme obèse aux vêtements propres qui présente la machine n'est pas Joyeux. Nous pensons qu'il s'agit du constructeur Paul Valter lui-même, dont l'obésité est mentionnée dans son acte de recrutement (voir plus haut).
 
moto La Foudre 1904 Paris-Bordeaux-Paris
 
moto La Foudre 1904 Paris-Bordeaux-Paris
 
Le cadre est le même que celui des motos de Herveux et de Millo. Le carter du moteur à volants intérieurs est marqué "E. Buchet" et les pattes de fixation sont estampées La Foudre Paris, comme sur le moteur de J.-L. Lamouroux (voir plus haut). La cylindrée est de 270, 55 cm³ (70 x 70,3 mm).
 
moto La Foudre 1904 Paris-Bordeaux-Paris, details patte, frein, écusson
 
Monnaie hellenistique aigle de ZeusInsolite est le frein qui agit sur la jante arrière. Le patin est solidaire d'un bras en forme d'un triangle à base courbe. L'autre sommet du triangle est fixé de manière pivotante à un support serré autour du bras gauche de la fourche de base. Le troisième sommet est relié à un câble Bowden. Quand le pilote actionne la manette droite au guidon, la force de traction du câble appuie le frein contre la jante.
Dans l'agrandissement de l'image de l'écusson, on reconnaît un aigle avec des ailes déployées. L'iconographie est similaire à celle de l'aigle de Zeus avec le faisceau de foudre dans ses serres sur les représentations hellénistiques. C'est apparemment une allusion délibérée au nom de la marque La Foudre.
 
En 1905, "La Foudre n'a pas exposé au Salon, mais bien à ses magasins 8, cité Guénot et 245 bvd Voltaire : le modèle de motocyclette 1905, à moteur Buchet 3 CV, est de la plus belle esthétique et donne du 50 kilomètres à l'heure de moyenne", Le Radical 23 mars 1905.
La motocyclette ci-dessous à moteur Buchet a été vendue par V.O.F. Yesterdays (NL) comme étant une La Foudre, bien que le nom de marque ne figure apparemment nulle part sur la machine.
 
photo d'une moto La Foudre
 
photo d'une moto La Foudre
 
Le cadre se démarque sur plusieurs points de celui des motos La Foudre que nous connaissons. Il paraît être plus court, car le pédalier se trouve plus en avant, à la jonction entre le tube de selle et le tube de base. De plus, le tube oblique est ici cintré et plus long, ce qui permet l'utilisation d'une patte de fixation triangulaire en avant qui est relié au carter par deux boulons au lieu d'un seul. Tout cela confère à la moto une proportion équilibrée et lui donne un aspect harmonieux. S'il s'agit vraiment d'une La Foudre, cette moto pourrait bien être le modèle 1905 "de la plus belle esthétique".

Àprès 1905, nous n'entendons plus parler des motos La Foudre, mais la société La Foudre perdure au moins jusqu'en 1908. Apparemment, Valter s'est tourné aussi vers d'autres activités, comme en témoigne le fait qu'il commercialise la lampe de poche Fulmen Pinel, un briquet à essence minérale inexplosible fabriqué par E. Pinel à La Fère (Aisne).
 
Fulmen Pinel, briquet, publicité Valter 1906

De plus, Paul Valter et Caroline Meyer obtiennent en 1907 un brevet pour un diabolo (instrument de jonglerie à deux baguettes). 
À partir de 1909, Valter se consacre au commerce d'automobiles destinées à être exportées vers l'Angleterre.

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