Au Coin du Tricar

Phänomen

 
Phänomen Fahrradwerk Gustav Hiller, Zittau
  
Les usines de bicyclettes Phänomen ("Phénomène") furent fondées en 1888 par l'inventeur et entrepreneur Karl Gustav Hiller (1863 – 1913). Au début, Hiller produisait des machines textiles. À partir de 1889, il commence à fabriquer aussi des vélos et acquiert en 1891 la licence pour la fabrication des bicyclettes Rover, qui seront produites dans l'atelier de ses associés Müller & Preussger. En 1898, Hiller devient l'unique propriétaire de l'entreprise qui arbore l'enseigne "Phänomen". Il commence à s'intéresser pour les vélos à moteur, et vers 1900 il produit ses premières motos munies d'un moteur Fafnir. À partir de 1903, les motos Phänomen sont entièrement construites à Zittau, y compris les moteurs monocylindres et bicylindres. En 1905 commence le développement du "Phänomobil", une voiturette à trois roues dont la roue unique avant est motrice. Cette tri-voiturette apparaît en 1906 et sera construit dans de différentes versions jusqu'en 1927.
La production de motos cesse en 1910, car la marque se concentre désormais sur la fabrication du Phénomobile.
En bas de la page, le lecteur trouvera une biographie de Matteo Thunn, concessionnaire pour la France des tricars Phänomen ainsi que constructeur de motos sous licence Lurquin-Coudert et aussi sous son propre nom.


Tricar Phänomen
 

tricar Phänomen

Ce tricar est  à avant-train amovible, car la douille de direction correspond à celle d'une moto et la courbure du tube oblique du cadre indique une roue avant manquante. Il est relié au moyen de deux tubes latéraux à la fourche arrière du cadre moto et par un long tube de direction à la douille ("châssis tricar"). La direction est à essieu brisé. La caisse pouvait être remplacée par un siège pour passager. Deux moteurs maison étaient disponibles à la demande : un monocylindre de 3 CV ½ et un bicylindre de 5 CV ½, les deux refroidis par l'air. L'allumage se fait par une magnéto Bosch haute tension qui est montée horizontalement au-dessous du tube de base du cadre. La transmission directe est à courroie. 




 
Le tricar est dérivé de la motocyclette 3 CV ½ à moteur monocylindrique (ci-dessus). Le cadre est assez bas et long. Le moteur est déplacé vers l'avant, éloigné du pédalier, ce qui rend nécessaire de renforcer le cadre par une entretoise verticale entre le tube horizontal inférieur et le tube de base qui est très long. Le pot d'échappement est monté derrière le pédalier.


Plus luxueuse est la motocyclette 5 CV 
½ mue par un bicylindre en V. La fourche à roue poussée est dotée d'une suspension.


Le Phänomobil 

Les premiers modèles étaient des triporteurs et voiturettes à deux places côte à côte, calqués sur la Cyklonette 3 HP ½ de la Cyklon Maschinenfabrik m.b.H (Rummelsburg, Alt-Boxhagen 17-18 [aujourd'hui Berlin-Lichtenberg]), une tri-voiturette très légère (100 kg) apparue en 1903.
 

Phänomobil 1906/1907
 
Le cadre est assemblé en tubes d'acier, l'essieu rigide était d'abord suspendu par des ressorts en C qui furent remplacés par des ressorts à lames. La fourche est dotée de ressorts à boudin encapsulés. Le moteur est un bicylindre en V de 6 CV (2 x 82 x 84 mm) monté au-dessus de la roue avant motrice. Le refroidissement est à air forcé par un ventilateur ; le carburateur est un Longuemare. Dans le moyeu de la roue avant est logé un changement épicycloïdal à deux rapports et embrayage. La direction est du type "queue de vache" qui se termine dans une "poignée de pelle" multifonctionnelle permettant d'accélérer et de changer de vitesse. Les freins à ruban agissant sur les roues d'arrière sont actionnés par une pédale. Le poids total est de 180 kg.
 

Phänomobil à trois places

En 1912 apparut une version à quatre places qui remplaçait les premiers modèles. Ce Phaenomobil de 6/12 HP était muni au choix d'un moteur à deux cylindres en V de 6 HP ou d'un quatre cylindres en ligne à soupapes latérales qui tirait 12 HP d'une cylindrée de 1550 cm³. Le cadre en tubes d'acier fut abandonné au profit d'un cadre en tôle d'acier emboutie qui est tiré à l'avant vers le haut et se rétrécit pour recevoir la fourche. Les freins à ruban furent remplacés par des freins à tambour et segments extensibles.
Après 1910, le Phaenomobil fut doté progressivement d'une véritable carrosserie automobile.
 

1911, Phänomobil carrossé comme voiture automobile


Catalogue après 1912. Phänomobil à cadre en tôle emboutie.


1916, Phänomobil Modèle L, Landaulet. Le modèle L fut destiné souvent au service de taxi.

En 1920 voit le jour le Phänomobil type V qui fut produit jusqu'en 1927. Après la fin de la production du type V, Phänomen se tournait vers la fabrication de véhicules utilitaires.

 



 
Annexe

Matteo Thunn
1 et 3 bd. Ménilmontant, Paris, XIe

Le concessionnaire exclusif pour la France des voiturettes Phaenomobil était M. Thunn, que l'on connaît aussi comme constructeur de la motocyclette La Préférée. Nous saisissons l'occasion d'apporter ici des faits jusque-là inconnus (au moins en France) concernant ce personnage intéressant.
 
Le Pänomobil avec publicité de Maggi

Derrière le nom modeste "M. Thunn" se cache le Graf (comte) Matthäus (Matteo) von Thun und Hohenstein, né le 17 juin 1882 à Arezzo, Toscane, Italie, comme fils de Léopold Franz von Thun und Hohenstein et de Giulia Gori-Pannilini. Il est décédé le 23 novembre 1945 à Wrocław (Breslau), Pologne, comme prisonnier de guerre russe.
 
Castel Thunn Trentino, Val di Non
Castel Thunn, résidence de la famille Thun depuis le milieu du 13e siècle. 
Vigo di Ton, Val di Non, Trentino, Tyrol. (Photo prise en 1937) 

 
Le 26 février 1916, Matteo Thun épousa à Vienne Ida Czernin von und zu Chudenitz und Morzin (*30 août 1888 à Horní Maršov, Trutnov District, Hradec Králové Région, Czechia, +16 mai 1965 à Vienne, Autriche). Le couple avait dix enfants.
 
Les époux Thunn
Le comte Matteo von Thun und Hohenstein et son épouse Ida.
 
Nous ne savons pas depuis quand Thun vivait en France, où il utilise l'orthographie "Thunn", apparemment pour maintenir la prononciation "Toune" [Tu:n] et éviter la nasalisation de la voyelle un [Tœ̃ ou Tɛ̃] de son nom. Il préfère aussi la forme italienne "Matteo" de son prénom Matthaeus.
Thunn se fait connaître en décembre 1910, quand il reprend la maison de fournitures E. Decosse,
 pièces détachées pour cycles, 144, rue Chemin-Vert, Paris (XIe). Il vend par la suite des fournitures générales pour bicyclettes ainsi que des vélos de la marque "Racer".
Le 2 août 1911, Thunn demande en tant que propriétaire du bâtiment 1, bd de Ménilmontant, à l'angle de la rue Montlouis, l'autorisation d'ajouter un étage supplémentaire et d'y construire une usine. À cette époque, il est apparemment déjà concessionnaire des voiturettes Phaenomobil. Pour mieux faire connaître la marque en France, il participe en 1912 au Tour de France automobile.
 
Thunn sur Phanomobil, 1912, Tour de France
Matteo Thunn sur Phaenomobil lors du Tour de France Automobile 1912.

Matteo Thunn en 1912 sur un Phanomobil

Le moteur du Phänomobil
Le bicylindre en V de 6 HP propulsant le Phaenomobil.
Une poulie à double branches solidaire de l'axe du vilebrequin entraîne par courroie les deux
ventilateurs de réfrigération. Sur cet axe est fixé un pignon qui entraîne 
la magnéto par chaîne. 

Également en 1912, Thunn construit sa première moto qu'il dénomme "La Préférée". Mis à part le cadre, La Préférée est montée avec de nombreuses pièces détachées issues du catalogue de sa propre maison de fourniture et de celui de la Société Industrielle d'Albert (SIA). Le moteur est un monocylindre Anzani de 3 HP ½. Avec cette moto, munie pour l'occasion d'une fourche élastique Simplex, Thunn participe lui-même en octobre 1912 à la course Paris – Tours, mais il ne s'est pas classé à cause d'un malentendu : il ne faisait pas les deux tours de piste réglementaires au vélodrome de Tours parce qu'une personne qu'il avait prise pour un contrôleur lui avait avisé à tort qu'il était pénalisé.
 
 motocyclette La Préférée, 1912, dessin
La Préférée 1912

La Préférée de 1912 est propulsée par un monocylindre Anzani de 482, 33 cm³ (85 x 85 mm) qui developpe 3 HP ½, selon la formule administrative. Sur l'axe du moteur est montée une "poulie" Kupke, un changement planétaire à deux vitesses et embrayage. Il est commandé par une manivelle fixée au tube horizontal supérieur du cadre. La transmission est à courroie. La fourche avant est dotée d'une suspension à ciseaux Lithos. L'allumage se fait par magnéto. 
La Préférée était aussi disponible avec un sidecar produit par la Société Industrielle d'Albert (SIA).
(Voir aussi: Motocyclettes Austral - La Société Industrielle d'Albert).

 
Thunn, moto La Préférée avec sidecar
Dessin provenant du catalogue de la SIA de 1914.
 
En 1913 apparaît une version plus grande de La Préférée qui est équipée du nouveau bicyclindre Lurquin-Coudert. Le cadre de la moto sur les images ci-dessous est le même qu'on voit sur le dessin ci-dessus, mais la simple suspension Lithos, montée en accéssoire, à laissé sa place à une véritable fourche élastique renforcée apparemment pour un usage en sidecar.
 
La Préférée, motocyclette 1913, marque de Matteo Thunn, moteur Lurquin-Coudert
 
La Préférée, motocyclette 1913, marque de Matteo Thunn, moteur Lurquin-Coudert, sidecar
Un grand merci à Jean-Luc Lamouroux pour partager les deux photos ci-dessus
 
moto Thunn La Préférée 1914
La Préférée modèle 1914 du catalogue Thunn est en réalité une Lurquin-Coudert !

Le cliché ci-dessus tiré du catalogue Thunn 1914 doit représenter la version la plus luxueuse de La Préférée. Cette image provient cependant du catalogue Lurquin-Coudert 1914 ; même le numéro de matriculation est identique, mais Thun a changé le nom de marque sur le réservoir. À quelques détails près, cette La Préférée est donc une Lurquin-Coudert 1914 munie d'un bicylindre à soupapes commandées et à grands volants intérieurs. La Préférée est dotée d'une magnéto Noris, d'un carburateur Claudel, d'un changement planétaire à deux vitesses et débrayage F. W. Kupke et de pneus Hutchinson. Mais contrairement à la Lurquin-Coudert 1914 et à la moto qu'on voit sur le cliché ci-dessus, le pignon du pédalier de La Préférée commande directement le moteur, ce qui permet la mise en marche, la roue arrière restant à terre. 
Selon le catalogue 1914, il y avait trois modèles de La Préférée : une 3 HP ½ à moteur monocylindrique Lurquin-Coudert de 453,65 cm³ (76 x 100 mm);  une bicylindre Lurquin-Coudert de 5 HP ½ et 751 cm³ (2 x 75 x 85 mm) et une bicylindre Lurquin -Coudert de 7 HP et 907,3 cm³ (2 x 76 x 100 mm).

Voici quelques articles pour motocyclettes du catalogue 1914 de la maison de fourniture M. Thunn : 
 
extrait d'un catalogue de Thunn
(agrandir)
 
Le 8 mars 1915, par ordonnance du président de la République, les séquestres ont été désignés pour les établissements allemands et austro-hongroises en France. Par conséquent, tous les biens en France de Thunn, qui était Autrichien, ont été confisqués. Thunn émigra ensuite en Autriche où il deviendra au plus tard à partir de 1922-1923 concessionnaire Phaenomen. Son magasin avec atelier est sis au 75, Siccardsburggasse à Vienne (Xe).
 

 
En outre, il a la représentation exclusive de la poulie Kupke pour l'Autriche-Hongrie, la France et l'Italie. En 1923, Thun devient membre de l'Association allemande-autrichienne des motocyclistes (Deutsch-Österreichischer Motorradfahrer-Verband). Également en 1923, il commence à importer de l'Angleterre des moteurs Villiers deux-temps et des changements de vitesse Burman.
En 1924 apparaissent les premières publicités pour les motos M.T., la nouvelle marque de Thun. MT est l'abréviation de Matthaeus Thun et non, comme on peut lire parfois, de "Max Thun". Le propriétaire de la marque était toujours Matthaeus Thun. En outre, Thun vend des changements Burman et des sidecars anglais.
 

Publicité de 1925 pour motos MT et pour le kit de construction "Sun".
(
voir entièrement)
 
En 1925, l'offre englobe des changements Burman et Kupke, des moteurs Villiers ainsi des motos "Sun" qui sont des kits de construction anglais complets, achetés et assemblés par Thun. Il vend aussi des carburateurs Amac ainsi que des motos de sa marque "MT" qui sont également des kits "Sun" assemblés. Tout comme La Préférée, "MT" sera toujours une marque assembleur, les motos étant assemblées avec des pièces détachées (moteur, boîte de vitesses) que Thun vend dans son magasin.
La gamme ne cesse pas de s'étendre et à partir de 1926 apparaissent de nouveaux modèles de la moto MT, d'abord en 1926 une Super Sport à moteur Villiers deux-temps de 172 cm³ et une 342 cm³ également à moteur Villiers deux-temps.  Les deux moteurs sont dotés de pistons en aluminium et les motos de fourches Saxon ainsi que de deux freins à tambour. Thun importe maintenant aussi des changements Moss.

Voici quelques modèles MT :
 
motos marque MT, gamme 1927
MT modèles 1927 à moteurs Villiers 147 cm³, 172 cm³, 247 ccm et 342 cm³.
 

MT 1927 à moteur JAP 350 cm³
 
MT 1927 à moteur Blackburne 500 cm³ latérales

À partir de 1927, Thun engage ses motos MT avec succès en compétition dans les classes de 175 cm³ et 250 cm³. Elles participent entre autres aux courses de côte du Zirlerberg (Zirlerberg-Rennen), du Riederberg (Riederberg-Rennen), du Salzberg (Salzberg-Rennen), du Tauernberg (Tauern-Rennen) ainsi qu'au Grand Prix d'Autriche (Grosser Preis von Österreich), une course de six heures. Les pilotes MT étaient le comte Boos-Waldeck, le comte Hardegg ainsi que MM. Wolf, Hubbauer et Mayerhofer.
En 1927, l'usine de Thun déménage à Traiskirchen, Mühlbachgasse 137, près de Vienne, mais Thun maintient le magasin de vente et l'atelier de réparation à Vienne, Siccardsburggasse 75. Le gérant en est le pilote de course J. Opawsky. 
Les modèles MT de 1928 sont équipés de moteurs Blackburne 250 cm³ ohv, Villiers 350 cm³ monocylindres deux-temps et  bicylindres deux-temps, et JAP 500 cm³ monocylindres quatre-temps.
 
Motocyclette MT 1930 : moteur JAP 500 cm³, changement à trois vitesses Burman, carburateur  Amal, dynamo-magnéto Bosch,
freins  à tambour de 150 mm et segments extensibles 
à l'avant et à l'arrière.
 
 

En 1931, Thun a été victime d'un grave accident de moto. À partir de 1932, on ne trouve plus de publicité ni de mentions de la marque MT dans la presse. Matthaeus Thun ferma son usine et son magasin en 1938/1939 environ.

 

 
 

Chapitre créé le 26 novembre 2018  — MAJ le 13 février 2021
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