Au Coin du Tricar

Le Tricar par Gauthier

 

Griffon tricar picnic


Ce texte est apparu dans La Locomotion automobile, 15 juillet 1908, p. 108 et suivantes. Les dessins, qui ne font pas partie de l’original, ont été ajoutés par nos soins.
 
Le Tricar

Il est un engin que la faveur des hommes n'a pas encore touché beaucoup, soit à cause de la haine jalouse d'une routine aveugle, soit à cause de la modeste place qu'il occupe dans la hiérarchie des véhicules automobiles. C'est du tricar que nous voulons parler et c'est du tricar, intermédiaire entre la motocyclette et la petite voiture que nous allons entretenir aujourd'hui le lecteur.

Tout le monde sait ce qu'est un tricar : deux roues directrices à l'avant, une roue motrice à l'arrière, un moteur entre les trois roues. Deux sièges l'un derrière l'autre. Le tricar est donc un engin à deux places mais "à trois pattes".

Nombreux sont les détracteurs du tricar. On lui a reproché toute sorte de choses et en particulier d'être justement "à trois pattes". La raison qu'on donne est d'ailleurs troublante. "Il n'y a pas d'animaux à trois pattes dans la nature ou bien ce sont des monstres". La mécanique humaine doit-elle donc être une copie servile des mouvements des animaux, sous peine de n'avoir aucune valeur pratique. Comment se fait-il alors que les pionniers de l'automobile ou au moins leurs successeurs ne se soient pas proposé comme idéal la réalisation de l'éléphant mécanique de Jules Verne, de célèbre mémoire. Pourquoi s'en tenir au mouvement de rotation des roues plutôt que de chercher à reproduire le mouvement alternatif grâce auquel nous, bipèdes, par exemple, nous pouvons nous déplacer par nos propres moyens sur cette terre ? Pourquoi les aviateurs dont les succès croissent de jour en jour progressent-ils dans l'air grâce au mouvement de rotation des branches d'une hélice, au lieu de se pourvoir de belles et bonnes ailes mobiles comme les oiseaux en possèdent. On voit facilement à quel genre de raisonnement se livrent gratuitement les détracteurs du tricar dont l'argument le plus décisif est l'horreur de la bête "à trois pattes".

Une autre catégorie de gens évidemment plus intelligente, dédaigne le tricar sous prétexte qu'il offre une stabilité moindre que le véhicule à quatre roues. C'est possible dans certains virages et à condition qu'on les prenne en vitesse. Mais le tricar est-il fait pour les jeunes fous à la poursuite de records à battre ? La prudence a toujours conseillé de ralentir convenablement dans les virages et il est bon de rappeler qu'un tricar, s'il chasse de l'arrière dans certains cas, n'est responsable de ce défaut que dans une faible mesure, le conducteur étant maître d'empêcher sa manifestation.

Une dernière catégorie de gens, enfin, reprochent à la plupart des types de tricars existants de ne pas offrir assez de confortable au conducteur, obligé de subir sur une selle plus ou moins bien suspendue tous les chocs de la route incomplètement amortis par le pneu arrière. À cela nous pouvons répondre qu'il existe déjà des types de tricar présentant au conducteur un siège analogue au siège d'avant et tout aussi confortable. Un volant de direction donne même à ce petit outil toutes les apparences d'une jolie petite voiture. Cette dernière objection étant de beaucoup la plus importante, nous allons d'ailleurs la traiter plus sérieusement que les premières.

Il est bien certain que l'avenir du tricar dépend surtout de la manière plus ou moins parfaite dont sera traité sa suspension. Nous pouvons dire que dès maintenant les constructeurs qui s'en sont donné la peine sont arrivés à de bonnes solutions très acceptables et susceptibles de devenir meilleures encore.

Voici la description de quelques systèmes de suspensions pour tricars.

suspension JaujardLa suspension arrière Jaujard consiste en deux organes placés à droite et gauche de la roue motrice et qui se composent : 1º d'un tube ; 2º d'un guide ; 3º de deux porte-ressorts ; 4º d'un ressort à lames, dont les extrémités glissent entre des galets. Une patte dans l'échancrure de laquelle est bloqué l'axe de la roue, et une coulisse sont fixées à la partie médiane du ressort ; la coulisse est encastrée dans le guide et peut y glisser en s'élevant ou en s'abaissant. Le ressort ayant son point d'appui sur l'axe de la roue, fléchit au moindre obstacle et amortit l'effet des secousses.


La suspension arrière du tricar le Mephisto de M. Le Bigaignon est réalisée de la façon suivante : le châssis est replié et surélevé à la hauteur des ressorts d'avant, et ce châssis contourne la roue d'arrière. Dans le prolongement de la tige de selle, il porte un axe creux dans lequel peut osciller la fourche portant la roue et qui la contourne également. Les extrémités d'arrière du châssis sont réunies par un ressort à lames transversal ; la fourche qui se déplace avec la roue porte les attaches des freins ; le ressort peut être très souple, la fourche agissant à la manière d'un levier à long bras mobile.
 

Le Bigaignon tricar Mephisto

Le système appliqué dans la trivoiturette Stimula, présente, dans son ensemble, un triangle dont les trois sommets sont articulés, et dont un des côtés peut diminuer ou augmenter de longueur. La fourche inférieure du cadre du tricar est articulée, d'une part au pédalier, l'autre part aux pattes arrière, qui reçoivent également l'attache de la fourche supérieure, laquelle est articulée en ce point et au sommet du tube porte-selle.
 

Suspension arrière Stimula / Saclier
Suspension arrière Stimula.
 

Le système élastique proprement dit, comprend deux tubes coulissant l'un dans l'autre, à frottement doux, fixés, l'un au sommet de la fourche, l'autre à une pièce articulée sur un bossage, et trois ressorts à boudin concentriques placés dans l'intérieur de ces deux tubes et tendant à les écarter. Lorsque la roue rencontre un obstacle elle se soulève ; son axe décrit un arc de cercle dont le centre est le point d'articulation ; les ressorts se compriment et, par suite, le choc au lieu de se transmettre directement et brutalement au cadre, est presque totalement absorbé.

Ce dispositif permet aux essieux de se déplacer par fléchissement des ressorts, en restant constamment parallèles à des axes perpendiculaires au plan du cadre ; les articulations ne pouvant agir inégalement on n'aura pas à craindre de verser dans les virages, tout en restant cependant confortablement suspendu.

La suspension du tricar Bruneau se compose de deux ressorts à boudin très forts et en même temps très élastiques. Le cadre se trouve maintenu perpendiculairement à l'essieu avant par deux tiges en acier coulissant dans deux longues douilles brasées sur l'essieu. Les ressorts recouvrant les tiges en acier, sont interposés entre le cadre et l'essieu, ce qui donne une suspension très douce, sans déformation dans le parallélisme de trois roues, qui est difficile à conserver avec des ressorts à pincettes.
 

Tricar Bruneau
Suspension Bruneau.

Le système Lurquin-Coudert comporte un appareillage formé de deux dispositifs absolument semblables disposés de chaque côté de la roue motrice ; chacun de ces dispositifs comprend une pièce tubulaire réunie au cadre par une brasure. Dans chacune de ces pièces est engagé à frottement doux un tube solidaire de la fourchette dans laquelle est placé l'axe de la roue. Un ressort à boudin intercalé entre les fonds des tubes, tend à éloigner l'un de l'autre au repos. Une tige centrale, fixée au fond du tube extérieur, en sort à sa partie supérieure et porte en cet endroit un chapeau qui s'y trouve fixé et qui est maintenu en place par un contre-écrou. Entre ce chapeau et le dessus du tube piston est encore disposé un ressort amortisseur. Cette disposition assure une liaison élastique entre la roue motrice et le cadre, ce qui améliore les conditions de roulement de la machine.
 

Suspension arrière Lurquin-Coudert
Suspension arrière Lurquin-Coudert.

Nous ne pouvons évidemment décrire dans un aussi petit cadre tous les systèmes existants ; mais ce que nous en avons dit, et emprunté d'ailleurs à M. de Graffigny, suffit à montrer que la question se précise et que les constructeurs ont à cœur de la résoudre. Dès maintenant on peut conduire un tricar sans se ressentir des courbatures inhérentes à l'absence de suspension des premiers modèles établis. Le tricar est devenu une véritable petite voiture à trois roues, c'est ce dont il faut bien persuader les gens qui sont trop enclins à arrêter leur jugement après avoir vu seulement des tricars type tricycle retourné.

Les avantages sur la petite voiture à quatre roues sont manifestes, au point de vue du prix d'achat et de l'entretien. Mais il est une considération qu'on fait malheureusement trop peu souvent en automobile et sur laquelle nous voulons appeler l'attention : car c'est à notre avis un des plus gros avantages du tricar : la facilité d'évolution de la voiture :

Dans les pays de plaine, où les routes déroulent leur long et monotone ruban sans contournements bizarres, on ne se fait pas une idée suffisante de l'intérêt qu'il peut y avoir dans d'autres pays plus accidentés, à posséder un outil excessivement maniable et de très faible encombrement. Consultez quelques chauffeurs amoureux à la fois de la grosse voiture et des sites sauvages des Alpes ; ils vous raconteront les ennuis supportés par suite du trop grand empattement de la voiture, les virages faits par des méthodes bizarres, comme la marche arrière, les routes qu'ils ont été obligés d'abandonner parce que leur largeur et leur situation critique au-dessus des précipices leur conseillait la prudence et étaient par là même interdites à leur énorme et pesant véhicule. Combien de sites laissés ainsi volontairement de côté. Car les grandes routes n'ont pas précisément l'avantage du pittoresque !

Comparez le tricar, léger, ce qui lui permet de monter et de descendre partout avec facilité. Peu encombrant avec ses trois roues et faible empattement, pouvant accéder partout.

Disgracieux à sa naissance, le tricar a acquis peu à peu l'élégance et la beauté en même temps que de belles qualités de solidité de confortable et nous ne doutons pas qu'il ne se répande de plus en plus, intermédiaire pratique entre la motocyclette incommode et dangereuse et la petite voiture qui malheureusement semble toujours reculer la date de son avènement.

 

Gauthier,

Ancien élève de l'École Polytechnique.




 

created by Hendrik Svenson 03/2018. All rights reserved